Le 12 rue de Seine

Le 12 rue de Seine

Comme beaucoup des immeubles des numéros pairs de la rue de Seine, les lieux qui sont dans l’emprise du n°12 connurent dans les temps très anciens  des personnages fort célèbres, comme  Jean-Jacques de Mesmes, deux ducs de Levis-Ventadour puis au XVIIIè la famille Pellot de Trévières. L’immeuble a  subi de nombreuses modifications au XXéme siècle, il fut même reconstruit mais il cache, après être passé sous deux corps de bâtiment, niché au fond d’un jardin, un ravissant petit hôtel particulier.

Le premier propriétaire : Jean-Jacques de Mesmes

Le 23 août 1540, par devant les notaires François Bastonneau et Vincent Maupéou, Jean-Jacques de Mesmes fit l’acquisition d’une pièce de terre de deux arpents dix perches (7200m2 environ) située rue de Seine. Le terrain était près du petit pré aux clercs et avait une forme de potence dont une partie (celle qui était en retour le long de l’actuelle rue Bonaparte) fut par la suite revendue à l’évêque Nicole Dangu1.Jean-Jacques de Mesmes ne garda qu’une bande de terre allant de la rue de Seine à la rue Bonaparte et y fit construire deux maisons qu’il appela le Grand Limoges et le Petit Limoges 2.

La parcelle acquise par Jean-Jacques de Mesmes en 1540 est figurée à gauche. Elle avait une superficie d’environ 7200 m2 . La partie faisant potence fut revendue quelques jours après Nicolas Dangu qui possédait une grande partie de ce qui sera l’hôtel de Liancourt puis de La Rochefoucauld.

Après la revente à monseigneur Dangu, Jean-Jacques de Mesmes garda le terrain figuré à gauche qui mesurait un arpent un quartier 10 perches soit environ 4600 m2. Il y fit construire deux hôtel qu’il appela « le grand Limoges » et « le petit Limoges« .

Après la mort de sa première femme, il prit pour épouse en secondes noces Jeanne Le Père à qui il fit don lors de son contrat de mariage de la jouissance du Petit Limoges, rue de Seine. Elle ne put en profiter longtemps puisqu’elle mourut  deux ans et un mois après lui.

Jean-Jacques de Mesmes, chevalier et seigneur de Roissy-en-France,  était un personnage du royaume fort estimé par François Ier. Né en 1490 à Mont-de-Marsan, il passa plusieurs années à étudier « les belles lettres » ce qui l’amena à devenir un grand collectionneur de manuscrits grecs qui sont encore l’objet de recherches de nos jours. Il fut ensuite un professeur des lois  et de jurisprudence à Toulouse si apprécié que les plus grands savants venaient l’écouter. Il s’attacha au service de Catherine de Foix, reine de Navarre, comme conseil et intendant de ses affaires. François Ier lui donna un poste de maître des requêtes en son Hôtel puis de premier président au Parlement de Normandie. Sous le règne d’Henri II,  ce fut lui qui négocia le mariage de Jeanne d’Albret, fille du roi de Navarre et unique héritière de ses états, avec Antoine de Bourbon, duc de Vendôme.  Il épousa en premières noces Nicole Hennequin qui avant de décéder en janvier 1554 (n.s.) lui donna de nombreux enfants : Henri, Jacques, Jean-Gabriel, Antoinette, Marguerite et Adrienne.

Après sa mort l’ensemble des maisons de la rue de Seine changea de propriétaire. Mais nous ne savons quand.

De 1554 à 1602. Gilbert de Levis, comte puis duc de Ventadour

Le nouveau propriétaire était chevalier de l’ordre et gouverneur du Limousin. Issu d’une très vieille famille noble, il fut enfant d’honneur de François Ier et plus tard son panetier. Il s’appelait Gilbert de Levis et était comte de Ventadour. Cet homme rendit les plus grands services au roi Henri III qui en récompense érigea en 1578 le comté de Ventadour en duché puis en 1589 en duché-pairie. Gilbert de Levis mourut en mai 1591 en son château de La Voulte. Son fils Anne, duc de Ventadour, fut tout aussi glorieux que son père et combattit aux côtés d’Henri IV . Ayant fait construire rue de Tournon un nouvel hôtel, celui de la rue de Seine ne lui servant plus à rien, il le vendit  devant le notaire Pierre de Briquet le 14 février 1602. Malheureusement, les minutes de ce notaire ont été pillées, il n’y a donc aucun espoir de connaitre les conditions de la vente … à moins que l’inventaire après décès de l’acquéreur, s’il existe encore, nous donne quelques précisions.

1602-1721 .La famille Lecocq

L’acquéreur était un homme très riche du nom de François Le Cocq, Il était conseiller du roi en sa cour de Parlement depuis une petite dizaine d’années, seigneur de Germain, des Moulins Jousseran et autres lieux. Il professait la religion catholique mais vers 1614 il abjura pour entrer dans l’église réformée, comme nous l’apprend une lettre de félicitation de Duplessis-Mornay de 1614. Sa conversion ne porta pas, du moins au début, préjudice à sa carrière si ce n’est qu’il ne pouvait révoquer sa charge qu’en faveur d’un catholique. Cependant en 1625, il devait selon son ancienneté monter à la Grand’Chambre du Parlement. Ses collègues refusèrent. Il en appela alors à la justice du roi qui reconnut « ses bons et agréables services » et l’autorisa à se prévaloir du qualificatif de conseiller du roi en sa cour de Parlement sa vie durant. Il mourut quelques mois après …

Sa veuve Marie Marbault, aussi protestante, lui avait donné au moins trois enfants : François, contrôleur général des guerres, Aymar, avocat au Parlement, et Françoise qui avait épousé Jean Hérouard, contrôleur général des fermes de France. Ils habitaient tous rue de Seine dans la maison qui est ainsi citée dans le cueilleret de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, commencé en 15953 :

Déclaration de monsieur Le Coq (Le Cocq) à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés en 1595

La maison était grande, avec un jardin spacieux qui s’étendait jusqu’à la rue des Petits-Augustins (rue Bonaparte maintenant), elle avait toutes les aisances et appartenances en usage à l’époque. Elle était encadrée à droite par le sieur Leclerc. et à gauche le prince Dauphin c-à-d le duc de Montpensier. Beau voisinage !

Cependant, la première femme du roi Henri IV, la reine Marguerite, avait réapparu à la Cour et dès 1606 commença à acheter et faire construire son hôtel à côté de celui du sieur Lecocq. Cet hôtel occupait l’emplacement des immeubles situés entre le quai Malaquais et le 10 rue de Seine et en 1610 elle proposa à François Lecocq de lui acheter une grande partie de son hôtel. Un acte fut signé qui stipulait que les époux Le Cocq vendrait à la reine Marguerite, duchesse de Valois, la grande porte cochère pour servir d’entrée aux lieux vendus; la cour de devant; les deux corps de logis latéraux, le premier en forme de galerie et qui était du côté de l’hôtel Dauphin et l’autre servant d’écurie et office « étant du côté de la dame reine » avec en plus tout le grand corps de logis derrière et ses appartenances et dépendances, le jardin derrière led corps d’hôtel, les arbres et les treilles …. Mais le sieur Le Cocq était prudent et ne devait quitter les lieux qu’une fois le prix de la vente versé. La reine Marguerite demanda deux fois des délais de paiement qui d’ailleurs lui furent accordés. Elle mourut avant de n’avoir versé aucun écu ! La vente ne se réalisa donc point.

François Le Cocq mourut vers 1625. Marie Marbault, sa veuve, soucieuse de préserver paix et tranquillité parmi les siens, partagea ses biens tout en s’en gardant l’usufruit. Il fut attribué à Aymar la seigneurie de Germain en Poitou, le fief Bérault et la moitié de la terre et seigneurie de la Pinaudière et le Moulin Petit… et la grande maison de la rue de Seine  4.

Aymar Lecocq épousa Marguerite de la Madelaine, fille d’un conseiller au Parlement. Il en eut douze enfants dont beaucoup moururent très jeunes. Toute la famille habitait la maison de la rue de Seine et Marie Marbault menait la maisonnée d’une main très ferme.  Elle en avait d’ailleurs l’usufruit. Elle louait les corps de bâtiments sur la rue à droite et à gauche de la porte cochère tantôt à des secrétaires de la chambre du roi5, tantôt à un tailleur. C’était une femme dure en affaire puisqu’elle alla jusqu’à faire emprisonner à la Conciergerie une certaine dame Marie de Viges, épouse du notaire Nicolas Motelet qui lui devait 4500 livres. Elle ne consentit à son élargissement qu’au bout de plusieurs mois après avoir eu l’assurance du versement de la somme6.

La dame Le Cocq mourut sans doute au mois de juin 1646 puisque Sa Majesté accorda des lettres de bénéfice d’inventaire à ses petits-enfants mineurs Hérouard le 2 juillet de cette année-là7.

Aymar prit donc en main le destin de la maison  mais sa gestion ne dura que 8 ans puisqu’il mourut en 1654 en laissant deux enfants mineurs, Pascal et Anne et un fils majeur se prénommant François, sieur de Germain, conseiller du roi en sa cour de Parlement. La veuve d’Aymar, Marguerite de le Madelaine eut-elle des difficultés financières ? Toujours est-il qu’elle décida de vendre une partie du jardin qui se trouvait derrière le second corps de logis Auguste Macé Le Boulanger, seigneur de Viarmes, conseiller du roi et maître des requêtes en son Hôtel8. La partie vendue faisait face à la rue des Petits Augustins (maintenant rue Bonaparte)

La maison de M. Lecocq ne borde plus la rue des Petits Augustins (Bonaparte) à cause de la vente à Auguste Macé Le Boulanger

François Le Cocq, fils d’Aymar, était aussi protestant. Il épousa Marie de Beringhen. La révocation de l’édit de Nantes voulue par Louis XIV, intervint le 18 octobre 1685. Ce fut pour la famille Le Cocq le début d’une période très difficile comme pour tous ceux de « l’église réformée ». François Le Coq fut arrêté en sa maison de la Barillière près de Blois. On l’envoya une semaine chez l’évêque de Meaux  puis à Paris chez les pères de l’Oratoire. Il ne voulut jamais abjurer sa religion. Finalement devant cette foi chevillée au corps, « on » renonça et « on » lui permit de rejoindre l’Angleterre depuis Saint-Malo. Le roi accepta qu’on lui versât une pension de 4 000 livres prise sur les revenus de ses propriétés. Quant à sa femme, Marie, elle fut enfermée aux Nouvelles Catholiques  en janvier 1686 puis au couvent de la Visitation, ensuite à la citadelle d’Amiens. Elle montra la même résolution que son mari. Elle fut expulsée et rejoignit son époux à Londres.

S soeur Marguerite qui avait été mariée à Olivier de Saint-Georges, ne montra pas la même volonté devant les dragonnades du roi. Ils finirent par abjurer leur religion et même, dit-on, essayer d’entrainer d’autres anciens coreligionnaires à abjurer. Ils avaient eu deux enfants : César de Saint-Georges, marquis de Vérac, maréchal de camps des armées du roi et lieutenant général du Poitou et Olive qui avait épousé Benjamin Louis Frotier aussi chevalier et marquis de La Coste Messelière.

François Lecocq décéda à Londres en 1717 sans héritier issu de son sang. Sa succession revint donc à son neveu, le marquis de Vérac,  et à sa nièce marquise de La Coste. Ils étaient catholiques. Le roi leur les autorisa à vendre la maison du 12 rue de Seine.

1721-1726. Hyacinthe Guidy

Hyacinthe Guidy était un bourgeois de Paris. Il dépensa 200 000 livres pour devenir propriétaire de la maison ! L’acte d’acquisition9 mentionne « un » grande maison »composée d’un premier corps de logis sur la rue occupé par un perruquier, avec une grande porte cochère, puis un deuxième corps de logis aussi entre cour et jardin, et enfin une jardin derrière.

Hyacinthe Guidy fut un propriétaire éphémère puisqu’il revendit la maison 6 ans plus tard dont la partie principale fut louée à monseigneur Paul Sigismond de Montmorency-Luxembourg, duc de Chatillon pour un loyer de 5 500 livres. Ce locataire était le deuxième fils du maréchal de Luxembourg. Il n’avait plus son hôtel de la rue du Cherche-Midi car il l’avait donné à son fils. Il était un peu contrefait, comme son père, mais il en avait aussi l’esprit et la bravoure. Depuis 1693 il ne pouvait plus se servir de son bras droit parce qu’il avait été grièvement blessé à la bataille de Nerwinden  10.

1726- An XII (1803). La famille Pellot de Trévières.

Le 13 octobre 1726, Claude Pellot, comte de Trévières et conseiller au Parlement acheta à Hyacinthe Guidy la maison qui comportait un grand corps de logis entre cour et jardin.

La maison du 12 au temps de Turgot en rouge: on remarque qu’il jouxtait l’hôtel de Liancourt.

Claude Pellot de Trévières était un descendant de la famille milanaise Pelloti qui s’était tout d’abord établie à Lyon au XVIe siècle où elle faisait commerce de la soie. Le grand-père de Claude Pellot fut un célèbre premier président au Parlement de Paris. Son père, Claude François, fut un temps maître des requêtes mais il vendit assez vite sa charge car il devait rembourser des dettes de jeu. Son fils notre acheteur, entra jeune comme conseiller au Parlement de Paris. Il épousa en 1726 Marguerite Mégret, fille de Nicolas Mégret, seigneur de Passy, qui lui donna un fils Claude-Anne-François et mourut 10 ans après ses épousailles. Claude Pellot poursuivit alors  doucement sa vie au Parlement et ne se remaria pas. Il mourut en 1763. Son faire-part était ainsi rédigé :

« Vous êtes prié d’assister au convoi et enterrement de haut et puissant seigneur Claude Pellot, chevalier, seigneur comte de Trévières, seigneur de Port-Davis, des grands et petits Deffands et autres lieux, conseiller du Roy en sa cour de Parlement et grande chambre d’icelle, décédé en son hostel, rue de Seine, faux-bourg Saint-Germain  qui se feront mardi 14 mars 1769, à sept heures du soir en l’église Saint-Sulpice, sa paroisse.

De Profundis

De la part de Mr le comte de Trévières son fils « 

Le troisième comte de Trévières fut « grand messager de l’Université de Paris » c’est-à-dire qu’il était tuteur et banquier d’étudiants provinciaux venant étudier à l’Université de Paris. Il épousa le 4 février 1759 une cousine, Claude Louise Elisabeth Sophie de Polignac. Il avait 34 ans, elle en avait 19. Le couple habita aussi son hôtel de la rue de Seine dont il avait loué une partie du bâtiment sur la rue  à Philippe Durand écuyer, conseiller du roi et trésorier général des lignes suisses pour 900 livres par an. Il avait aussi loué un petit local qui attenait la porte cochère à un perruquier pour 500 livres par an.

En pleine révolution, alors que Louis XVI était monté sur l’échafaud, Claude François Pellot de Trevières, lui,  mourut le 5 février 1793, quelques jours après son roi mais dans son lit et en sa demeure de la rue de Seine, privilège assez rare puisque nous étions en pleine Terreur. Le notaire, Me Hua, entreprit l’énorme tâche de faire l’inventaire de ses biens11.  Le couple n’ayant pas eu d’enfants, les héritiers qui se présentèrent étaient des parents les plus proches en degré. On comptait parmi eux :

  • Claude Antoine Béziade, marquis d’Avaray , député de la noblesse de l’Orléanais. Il vit en 1791 ses deux fils et ses deux gendres émigrer. Lui resta en France, en son château d’Avaray à cause d’une maladie grave qui l’empêcha de les suivre. Il était un cousin germain du défunt par sa femme Elisabeth Megret.
  • Antoine Jean Marie Megret d’Etigny qui mourut sur l’échafaud12
  • Antoine Jean François Megret de Serilly qui fut guillotiné,
  • Anne Marguerite Leclerc de Lesseville, veuve de Pierre Jacques Rousseau de Chamoy

Un inventaire fut entrepris mais la dame de Trévières était si malade qu’elle fit son testament le 3 juin et mourut quelques jours plus tard.

M. Béziade d’Avaray, par suite de l’émigration de ses enfants, procéda au partage de ses biens avec l’État par acte passé devant le tribunal administratif de la Seine le 2 brumaire an VII. Par cet acte il abandonna à l’État la maison de la rue de Seine dont un tiers lui appartenait en qualité d’héritier de M. Pellot de Trévières.

Extrait de la vente du 12 trouvée aux Archives de Paris

L’immeuble  portait alors les numéros 1396 à 1398, il se composait du bâtiment principal qui se trouvait entre cour et jardin et se composait au rez-de-chaussée d’un vestibule servant de salle à manger, un salon avec vue sur la cour et le jardin, une chambre à coucher, une garde-robe et un cabinet en galerie en retour sur le jardin. L’escalier qui se trouvait en aile sur la cour était en pierre et ne montait qu’au 1er étage Au 1er étage, il y avait la même distribution qu’au le rez-de-chaussée plus un petit escalier de dégagement montant à l’étage du dessus , led 1er étage était parqueté avec chambranle de marbre aux cheminées. L’étage au dessus était en attique distribué en sept pièces dont cinq à cheminée et dégagé par un grand corridor et grenier au dessus.

Le corps de logis en aile à droite sur la cour était composé d’un rez-de-chaussée et trois étages et un grand grenier au dessus. Au rez-de-chaussée, on trouvait une grande cuisine et ses dépendances, une grande cheminée et un four, un fourneau potager et une pierre à laver.  Le premier comportait une autre cuisine et ses dépendances et les autres étages étaient distribués en chambre de domestiques, le tout dégagé par deux petits escaliers

Le bâtiment en aile à gauche avait au rez-de-chaussée plusieurs remises et au-dessus au premier une grande galerie qui joignait le grand escalier. Un grenier était au-dessus.

Le bâtiment sur la rue avait été en partie démoli et formait une petite maison qui était distribuée à un passage de porte cochère, un logement de portier, une écurie et une porte particulière sur la rue et deux pièces dont l’une servant de cuisine ; au premier cinq pièces dont trois à cheminée , au 2d il y avait deux pièces à cheminée et un grenier au dessus. Un puits était dans la cour

L’ensemble qui occupait une superficie de 1879,85 m2 fut mis en vente à la préfecture de la Seine et un procès-verbal d’enchères du 18 frimaire an XII (10 décembre 1803) attribua moyennant 48 700 F cette maison à M. Dubreuil qui en fit déclaration au profit de Jean Baptiste Larroque. Il était stipulé que M. Larroque devrait se conformer aux règles d’alignement de la rue et ne pourrait s’attribuer les matériaux provenant de la démolition d’un petit corps de bâtiment sur rue.

Deuxième extrait de la vente contenant une clause d’alignement et la non-vente des matériaux provenant de la démolition.

1803-1829. Jean Baptiste Larroque

Nous ne savons rien sur ce monsieur Larroque malgré de nombreuses recherches. Par contre, nous pouvons deviner que c’était un excellent homme d’affaire puisqu’il revendit le 22 décembre 1829, la maison qui portait alors le numéro 10  pour la somme énorme de 255 000 F sans y avoir fait de gros travaux puisque la description de la maison est exactement la même sauf celle du bâtiment sur rue qui a été reconstruit : c’est un bâtiment qui ne comportait plus qu’un rez-de-chaussée avec une porte cochère, une loge de portier avec une cuisine et à droite une remise avec un magasin et à gauche une écurie. L’ensemble n’occupait plus qu’une superficie de 1860,1 m2, sans doute à cause des mesures d’alignement 13.

1829- 1853. La Famille Tantillion-Pourrat

L’acquéreur, Jean Tantillion, était médecin. Il avait épousé Marthe Chanony en 1781 à Chidrac en Auvergne mais il s’en était séparé puisqu’elle avait loué un appartement rue Cassette et habitait le plus souvent à Clermont-Ferrand. Elle y mourut d’ailleurs le 7 octobre 1838 et l’inventaire de ses biens n’eut lieu qu’à partir du 19 mars 1839! Les nouvelles ne vont pas vite entre l’Auvergne et Paris !

En 1837, Jean Tantillion transforma l’immeuble du 12 rue de Seine en un immeuble de rapport, tout au moins sa façade sur rue. Il fit construire par l’architecte Henri Théodore Bonneau à la place du bâtiment sur rue composé seulement d’un rez-dc-chaussée,  un immeuble de 6 étages dont nous avons pu retrouver les plans dans « Paris moderne ou choix de maisons construites dans les nouveaux quartiers de la capitale » par Normand fils que l’on peut consulter sur Gallica14.

Plans de Bonneau, architecte.
Ensemble de la façade sur rue
Détails de la façade …

Le cadastre de Paris nous offre un relevé des plans des maisons de Paris levés entre 1809 et 185515. Nous en avons trouvé deux pour l’immeuble qui nous intéresse, le premier sans date mais présumé au moment de la vente par Larroque puisqu’il ne comporte pas d’alignement et le second daté de 1840, donc après les reconstructions et frappé d’alignement où ne figura pas le bâtiment entre cour et jardin, ce qui pourrait signifier que celui-ci n’a pas subi de transformation.

Plans du cadastre avant et après alignement

De son mariage avec Marthe Chanony, M. Tantillion avait eu une fille, Marie, qui était mariée à Paul Mathias Pourrat. Celui-ci avait acheté un immeuble situé rue des Petits-Augustins n°5 (depuis rue Bonaparte), dont une partie de l’arrière jouxtait l’immeuble du 12 rue de Seine qui portait en ce temps là le numéro 10 .

Par un acte du 3 janvier 184016 , M. Tantillion passait une convention avec M. Pourrat son gendre moyennant laquelle il acceptait de laisser à son gendre la jouissance d’un triangle de son jardin dont il resterait cependant propriétaire. Un plan était joint à l’acte dont voici une photo :

Plan de la convention entre M.M. Tantillon et Pourrat

 Malheureusement, M. Pourrat avait 600 000F de dettes à la suite de son achat de la maison de la rue des Petits-Augustins et des constructions qu’il y avait faites. Ses créanciers le poursuivaient. Il mit donc en vente par adjudication l’immeuble pour une mise à prix de 600 000F17. Qui s’en rendit adjudicataire pour la somme de 630 000F ? M. Tantillion, son beau-père. Un véritable sauvetage !

M. Tantillion mourut le 28 mai 1844 en son domicile de la rue des Francs-Bourgeois-Saint -Michel n°8. Sa fille unique en était héritière mais comme elle était séparée de biens de son mari, un inventaire fut fait18 qui nous en dit plus sur les relations financières qui existaient entre M. Tantillion et son gendre Pierre Mathias Pourrat : l’immeuble que M. Tantillion possédait rue des  Francs Bourgeois Saint Michel n°14, lui venait de la vente que son gendre Pierre Mathias Pourrat lui avait faite en 1835 moyennant 70 000F, celui du 5 rue des Petits-Augustins lui avait été vendu en 1840 pour 630 000F ! M. Tantillion lui avait aussi acheté un domaine à Orsay en 1839. Chaque vente faite à son beau-père par M. Pourrat était complètement hypothéquée.

La fille de M. Tantillon, Madame Pourrat, ne resta point longtemps propriétaire de toutes ces maisons puisqu’elle mourut le 1er décembre 1845. Elle avait eu de son mariage avec Pierre Mathias Pourrat deux garçons : Aleph et  Camille qui héritèrent donc des biens de leur mère. L’inventaire après décès19 montrèrent une situation financière calamiteuse :

  • sur l’hôtel du 5 de la rue des Petits Augustins (Bonaparte) estimé à 600 000F , il restait dû aux anciens propriétaires une somme de 330 000F. De plus par une obligation signée en 1840  il était grevé d’une hypothèque de 60 000F
  • l’immeuble du 10 rue de Seine supportait une hypothèque de 200 000F
  • les deux immeubles de la rue des Francs Bourgeois Saint Michel n’étaient pas non plus  en bonne posture  (20 000F)

Le partage qui eut lieu attribua à Camille Pourrat la maison qui nous intéresse, l’hôtel  de la rue des Petits Augustins fut laissé en indivision pour être vendue.

Les dettes continuèrent à s’accumuler, Camille ayant acheté une maison à Neuilly-sur-Seine et entrepris des travaux. Les dettes augmentèrent, Camille n’y put faire face, les créanciers s’unirent, accordèrent un délai de paiement et finirent par demander la saisie de tous les biens.

Certes M. Tantillon avait eu le mérite de réhabiliter le bâtiment sur rue et sans doute les deux bâtiments en aile mais ni lui, ni son gendre ne purent supporter le poids financier des travaux. Ce qui devait arriver, arriva.

1853-1900 . Les Mulat

Suivant un jugement rendu en l’audience des criées du tribunal civil de 1ere instance de la Seine le 31/12/1853,  M. M. Dufour et Mulat, des éditeurs, se rendirent conjointement et avec leurs épouses adjudicataires de la maison rue de Seine n°12 (anciennement n°10) appartenant à Pierre Camille Pourrat contre lequel la vente par expropriation forcée était poursuivie. L’adjudication fut faite moyennant 370 050F de prix principal.

Les éditions Dufour & Mulat commençaient à avoir une certaine notoriété. Elles avaient signé ensemble en 1851 un contrat avec Alexandre Dumas pour l’édition de la totalité de son œuvre pendant 10 ans20 .  Ils avaient aussi acquis en 1852 un immeuble situé au 26 rue Jacob et donc décidèrent d’un commun accord de partager leurs biens immobiliers. Devant Maître Lejeune, le 15 mai 1854, ils partagèrent les immeubles entre eux et le 12 rue de Seine fut attribué à M. Mulat21.

C’est donc à cette date qu’Adolphe Mulat devint seul propriétaire de l’immeuble avec sa femme Pauline Aglaé Fournier qu’il avait épousé en 1853.

Entre 1854 et sa mort qui intervint en 1899, il fit construire un petit hôtel qui était habité par lui et dont la construction avait coûté 87 000F. Malheureusement nous n’avons pas pu déterminer la date exacte où ce ravissant hôtel fut élevé, cependant en 1865 le nom de Mulat apparait sur le bottin à cette adresse.22.

Hôtel de M. Mulat vu du ciel (Google Earth)

Le 4 janvier 1899, Adolphe Mulat mourut. Sa veuve ne tarda point à quitter l’hôtel  pour s’installer 24 rue de Courcelles et mit en location l’hôtel. Le preneur était la Société nationale de chirurgie de Paris qui signa un bail pour 8000 F par an23 . Celui-ci contenait une condition particulière : le locataire pouvait, une surface prise sur le jardin  devant l’hôtel, élever un bâtiment sur une hauteur d’un étage selon le plan dessiné par l’architecte Derouet  :

L’Académie nationale de chirurgie fut abritée dans les locaux de l’hôtel particulier et son annexe jusqu’en 1974, année où elle en fut expulsée « du fait d’un bail non renouvelé »24 .

Sa veuve disparut le 13 février 1916 après avoir légué à sa nièce Louise Dreux, veuve de Albert Dumez, sa fortune qui devint ainsi propriétaire de l’immeuble.

Image mortuaire de Madame Mulat

Monique Etivant


  1. voir l’histoire des  et 18 rue de Seine 

  2. A. N. ; Y 107 f° 153, testament de Jean-Jacques de Mesmes du 2 juin 1560 

  3. A.N. ; S 3058 

  4. A.N. ; M.C. ; XLIX/292, partage du 21 décembre 1627 

  5. A.N. ; M.C. ; VI/453; bail du 22 septembre 1636 moyennant 300L et VI/454, bail du 10 février 1637 moyennant 400L 

  6. A.N.; M.C. ; VI/454, acte du 6 mars 1637 

  7. A.N. ; Y//3218,  acte du 24 juillet 1646 

  8. A.N. ; M.C. ; . XCVII/22 ; acte d’échange du 3 octobre 1663 

  9. A.N. ; M.C. ; XXIX/346, acte du 3 février 1720 

  10. La rue du Cherche-Midi P. Fromageot 

  11. A.N. ; M.C. XLIV/642; inventaire du  19/02/1793 

  12. sa femme fut elle-aussi condamnée par Fouquier-Thinville,  en même temps que Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI. S’étant déclarée enceinte elle échappa l’échafaud. Mais ayant été inscrite comme exécutée en même temps que ses 23 autres condamnés, elle se présenta au procès de Fouquier-Thinville tenant entre ses mains son certificat mortuaire ! 

  13. A.N. ; M.C. ; LXXVI/685, vente du 22 décembre 1829 à M. Tantillion 

  14. Cet architecte est décédé le 8 septembre 1856 et enterré au cimetière Montparnasse. 

  15. A.N. ; CP ; F31/34 pour le 12 

  16. A.N. ; M.C. ; LXXVI/739 convention Tantillion/Pourrat du 3/01/1840 

  17. A.N. ; M.C. ; LXXVI/739 Cahier d’enchères du 13/01/1840 

  18. A.N. ; M.C. ; LIV/1431 , inventaire du 12/06/1844 

  19. A.N. ; M.C. ; LIV/1440 inventaire du 8/12/1845 puis le partage ((A.N. ; M.C. ; LXXVI/777 partage du 23/05/1846 

  20. A.N. ; M.C. ; LVI/808, acte du 4/02/1851 

  21. A.N. ; M.C. ; IX/1318, partage entre les éditeurs Mulat et Dufour 

  22. Arch. de Paris, DQ7 11718 ; déclaration de succession de M. Mulat du 27 mars 1899 

  23. A.N. ; M. C. ; CVIII/1491 bail du 10 novembre 1899 

  24. Histoire de l’Académie nationale de chirurgie  

Ce contenu a été publié dans Le 12****. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *