Les 14, 16 et 18 : l’ancien hôtel de La Rochefoucauld

Les immeubles des 14, 16 et 18 de la rue de Seine et la rue des Beaux-Arts occupent l’emplacement de l’ancien hôtel de La Rochefoucauld. C’est pour cette raison que nous les étudierons dans un même article, d’autant que deux d’entre eux présentent  actuellement les mêmes caractéristiques architecturales.

Ces lieux ont une glorieuse histoire parce qu’ils ont abrités successivement l’hôtel Dauphin qui appartint aux ducs de Montpensier, puis l’hôtel de Bouillon qui fut la propriété du duc de Bouillon, père du grand Turenne qui en hérita, ensuite l’hôtel de Liancourt qui était au duc de Liancourt et enfin l’hôtel de La Rochefoucauld qui fut à François de La Rochefoucauld, l’auteur des Maximes ; à François XII de La Rochefoucauld, le philanthrope ; et à Louis Alexandre de la Rochefoucauld, duc d’Enville  qui fut assassiné à Gisors pendant la Révolution.

L’origine de l’hôtel de La Rochefoucauld

Dès 1530, la très riche abbaye de Saint-Germain-des-Prés avait loti et vendu en parcelles de terre qui étaient du côté des numéros impairs de la rue de Seine. Le lotissement du côté pair intervint un peu plus tard, à  partir de 1538.

Le cardinal de Tournon, abbé commandataire de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, entreprit le lotissement des terrains du côté des numéros pairs de la rue de Seine. La complication des étapes successives qui y aboutira à l’hôtel de La Rochefoucauld justifie une illustration par des schémas.

Étape 1 : Charles de Maigny

Le 6 septembre 1538, devant les notaires François Bastonneau et Vincent Maupéou, monseigneur le révérendissime cardinal de Tournon, abbé de Saint-Germain-des-Prés, bailla à titre de cens et de rente foncière annuelle et perpétuelle à messire Charles de Maigny un arpent et demi (5125 m2 environ) de terre près du Petit Pré aux Clercs 1. Le cens2 de 3 sols parisis était à verser à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés tous les ans le jour de la Saint-Rémi (c-à-d le 1er octobre). Quant à la rente foncière elle fut fixée par l’abbaye à 7 livres 10 sols tournois. Le contrat exigeait de plus que le preneur construise sur le terrain une maison manable (habitable) et que le terrain soit clos de murailles.

Extrait de la déclaration de Charles de Maigny à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés

Charles de Maigny était un personnage important à la cour des rois François Ier et Henri II puisqu’il était capitaine des gardes de la porte royale. Il avait épousé Jeanne de Monceaux qui fut condamnée par arrêt du conseil privé du roi du 11 novembre 1551 à prendre le voile chez les religieuses des filles repenties de Chartres. Quel avait été son crime ? Nous ne l’avons pas encore découvert !

Domaine de Charles de Maigny

Charles de Maigny mourut à Paris en 15563.

Cette parcelle était situées sur la gauche de son terrain de la façon suivante :

Domaine de C.de Maigny partagé avec F. Bastonneau (septembre 1538)

Etape 3 :  Jean-Jacques de Mesmes

Le 28 août 1540 se dessine la troisième étape : le révérendissime cardinal de Tournon, abbé de Saint-Germain-des-Prés, vendit à Jean-Jacques de Mesmes, docteur en droit, seigneur de Roissy en France, conseiller du roi et lieutenant civil de la Prévôté de Paris une pièce de terre contenant deux arpents dix perches qui avait la particularité d’être en forme de potence comme on peut le constater sur le schéma ci-dessous4.

0ù Jean-Jacques de Mesmes intervient

Jean-Jacques de Mesmes était chevalier, seigneur de Roissy en France et autres lieux, il fut d’abord conseiller et intendant de la reine de Navarre, Catherine de Foix, puis ambassadeur en Allemagne, en Suisse et en Espagne. François Ier le fit maître des requêtes de son Hôtel . Il fut ensuite premier président au Parlement de Normandie. Ce fut lui qui négocia le mariage de Jeanne d’Albret, fille du roi de Navarre avec Antoine de Bourbon, alliance qui amena plus tard sur le trône de France son fils, le bon roi Henri IV …

Donc à cette époque, l’emplacement de l’hôtel de La Rochefoucauld avait trois propriétaires : Jean-Jacques de Mesmes qui possédait la partie vers la rue Bonaparte, Charles de Maigny qui avait la partie droite du futur hôtel ayant sa façade sur la rue de Seine, et enfin François Bastonneau qui en avait la partie de gauche.

Étape 4 :Charles de Maigny vend son terrain à Nicole Dangu

Dans une quatrième étape, Charles de Maigny  revendit son domaine le 9 décembre 1540 à Nicole Dangu, évêque de Seez  devant les notaires Bastonneau et Maupéou, à la charge de payer à l’abbaye deux sols parisis de cens et 100 sols tournois (5 livres) de rente foncière et outre moyennant 25 écus soleil pour lui-même5.

Nicole Dangu était un enfant naturel du chancelier Duprat. Il  fut abbé de Juilly alors qu’il était simple clerc du diocèse de Chartres. Il deviendra par la suite conseiller, maître des requêtes et chancelier du roi de Navarre. Il mourut en 1567 et dans la chapelle du collège de Juilly se trouve une représentation de lui, agenouillé.

Etape 5 : Jean-Jacques de Mesmes vend une partie de son terrain à Nicole Dangu

Les comptes de l’abbaye des années 1548-15496 révèlent qu’au lieu de Charles de Maigny et de Jean-Jacques de Mesmes, on trouve Nicole Dangu, évêque de Mende pour un arpent 3 quartiers de terre. Comme ce dernier avait acquis en 1540 un arpent de terre à Charles de Maigny, par soustraction on peut en déduire que Jean-Jacques de Mesmes avait vendu à Nicole Dangu 3 quartiers pris sur la parcelle de deux arpents dix perches que le seigneur de Roissy possédait. Selon les tenants et les aboutissants cités dans le compte, la partie vendue était la partie de la potence derrière les propriétés de François Bastonneau et Nicole Dangu.

La topologie des lieux des lieux changèrent donc à nouveau et prirent la configuration suivante :

Jean-Jacques de Mesmes vend à N. Dangu une partie de la potence

Comme on le voit sur ce plan de reconstitution, la partie quadrillée qui représente l’emplacement de l’hôtel de Liancourt (La Rochefoucauld) n’appartenait pas dans son entier à Nicolas Dangu et par la suite à la famille de Montpensier, une enclave persista jusqu’en 1612, elle avait pour propriétaire les descendants de François Bastonneau.

Étape 6 : Les ducs de Montpensier de 1570 à 1602 

Nous n’avons pas pu déterminer combien d’années Nicole Dangu posséda les lieux. Nous savons seulement que le propriétaire suivant fut Jérôme de Burgensis. En effet, nous avons pu apprendre grâce l’inventaire après décès de Marie de Bourbon7 que Jérôme de Burgensis, évêque de Chalons-en-Champagne, vendit le 27 septembre 1570 à Louis de Bourbon, duc de Montpensier et à sa fille Anne de Bourbon, duchesse douairière de Nivernois, veuve de François de Clèves  « une grande maison consistant en trois grands corps d’hôtel, cour et jardin sise au faubourg Saint-Germain-des-Prés rue de Seine ». Ce furent les notaires Le Normand et Denetz qui signèrent le contrat.  Malheureusement, l’acte n’existe plus …

Anne de Bourbon, duchesse douairière de Nevers, habitait l’hôtel lorsqu’elle dicta son testament et plusieurs codicilles. Elle instituait comme héritier son frère unique, François de Bourbon. Lorsque ce dernier constitua une rente à Pierre de Rochefort, avocat au Parlement, pour payer les legs faits à diverses personnes par sa soeur, il l’assigna entre autres choses sur l’hôtel Dauphin dont il venait d’entrer en possession.  Comme il fut prince dauphin d’Auvergne jusqu’à la mort de son père survenue en 1582, on appela  communément les lieux  « l’hôtel Dauphin« .

François de Bourbon guerroya très courageusement pour le roi  durant toute sa vie. Pendant les guerres de religion, le roi lui donna le gouvernement de plusieurs provinces. Il combattit les protestants mais refusa de faire partie de la « Sainte Ligue » qui avait à sa tête la famille de Guise. Il fut chargé aussi de demander la main de la reine Elisabeth d’Angleterre pour le duc d’Alençon, frère du roi. Il se rendit à Londres avec une suite de 500 personnes et un cortège de 800 chevaux ! Malgré toute cette pompe déployée, il ne rapporta en France aucune promesse. Lorsque Henri III mourut, il se rallia à Henri IV et se battit à Arques et à Ivry.

Portrait de François de Bourbon

Après avoir combattu la Ligue aux côtés d’Henri IV à Arques et Ivry, François de Bourbon, duc de Montpensier, mourut d’épuisement à Lisieux le 4 juin 15928.

François de Bourbon avait épousé en 1566 la très jeune et très belle Renée d’Anjou, marquise de Mézières et comtesse de Saint-Fargeau. Elle était la fille de Nicolas d’Anjou et de Gabrielle de Mareuil et n’avait que 16 ans au jour de ses épousailles. Elle lui donna en 1573 un fils prénommé Henri. Malheureusement, elle était de santé fragile. On découvre dans le chartrier de Saint-Fargeau, au chapitre des dépenses de François de Montpensier, que le 12 septembre 1572, elle était au lit, malade, soignée par son médecin Violle qui venait tous les jours et lui administrait de l’huile de Rozat.

On disait quotidiennement des messes pour elle à Sainte-Geneviève. Son mari qui était loin pour le service du roi lui envoyait un messager pour  prendre de ses nouvelles et des joueurs d’épinette pour la distraire de ses tourments. Son état dut empirer : elle  fit son testament en son hôtel de la rue de Seine le 31 octobre 1577. Les historiens ne connaissent pas la date de son  décès. Ils parlent d’une mort « dans la fleur de l’âge ». On peut cependant dire qu’elle mourut entre le dernier trimestre de 1577, date de son testament, et 1582, date à laquelle François de Bourbon-Montpensier attaqua sa belle-mère, la marquise de Mézières, au sujet du testament de  « feue la princesse Dauphine ». On peut même sans doute resserrer l’incertitude puisque dans le chartier de Saint-Fargeau consultable aux Archives Nationales sur le site de Peyrefitte on trouve la mention d’un acte daté du mardi 31 décembre 1577 signé Nutrat et Peyrat notaires. Dans ce document, Esprit Aubert et Pierre Leroux, maîtres « bastiers de mulets », confessent avoir reçu de Gabrielle de Mareuil, donc la mère de Renée d’Anjou, la somme de 128 livres pour avoir fait des livraisons en 1574 en l’hôtel Dauphin où logeait la feue dame princesse 9. La pauvre Renée d’Anjou aurait donc quitté ce monde entre le 1er novembre et le 31 décembre 1577.

Après le décès de François de Bourbon, lui succéda son fils Henri de Bourbon qui devint ainsi le troisième  duc de Montpensier. Au moment de la mort de son père, il était en Bretagne pourchassant le duc de Mercoeur  qui faisait partie de la Ligue. Il fut comme son père un très valeureux guerrier qui reçut une grave blessure à Dreux (1593). Malgré tout, il se remit en campagne et participa à la prise de Cambrai, de la Fère  et de Calais. Sa blessure ne guérira jamais et il s’éteignit à Paris en 1608. Le roi Henri IV qui l’aimait beaucoup lui fit des funérailles somptuaires.

Henri de Bourbon garda l’hôtel Dauphin au moins jusqu’en 1602 puisque dans un acte daté du 27 février de cette année10, Henri de Bourbon, duc de Montpensier, fit racheter par François Redont, sieur de Neuillac,  une rente assignée sur l’hôtel Dauphin, stipulant que le sieur de Neuillac serait « remboursé sur les deniers qui proviendront de la vente par adjudication de l’hôtel Dauphin qui doit être faite par décret »  et que « le surplus de l’adjudication irait » à un certain sieur Blondel aussi créancier du duc.

Etape 7 : François Redont, seigneur de Neuillac

En effet, succéda comme propriétaire un certain sieur de Neuillac11 comme on peut le constater sur le document suivant extrait du cueilleret de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés commencé en avril 1595 et terminé en 1607  12.

Déclaration de François Redon, sieur de Neuillac

Ce seigneur de Neuillac est François Redont (alias Redon). Il fut maire d’Angoulême en 1578 et par la suite échevin de cette ville jusqu’à sa mort survenue en 1607. Fils et petit-fils de notaires, il avait acquis une immense fortune comme receveur du talion. Nous avons pu trouver dans les Mémoires du duc d’Epernon  François Redont, sieur de Neuillac connu du fait qu’il prêta en 1592 au duc d’Eperon la coquette somme de 50 000 écus afin que ce dernier puisse équiper son armée. Grand prince, le sieur de Neuillac ne demanda aucun acte notarié au duc, une simple signature jetée sur un bout de papier lui suffit. François Redont avait acquis de Henri de Bourbon, duc de Montpensier, la seigneurie de Pransac en 1595 puis celle de Thuré en 1596 et enfin l’hôtel Dauphin vers 1602-1603. Il jouait en quelque sorte le rôle de banquier auprès du duc de Montpensier  en lui prêtant  de l’argent, ou en rachetant ses dettes comme en témoignent de très nombreux actes notariés des études VIII, XXIII, LXXVIII ou CXVI .

De sa femme Guillemine Jargilhon (alias Jargillon) il avait eu un fils Jean et trois filles dont l’une, Marie, épousa un certain Martin Martineau.

François Redont mourut en 1607 après avoir fait partage entre vifs de ses biens avec sa femme Guillemine Jargilhon le 8 mai 1606 devant Me Suchet, partage par lequel il donnait à son fils Jean la moitié de ses biens et l’autre moitié à ses trois filles qui recevaient ainsi chacune 1/6e de la fortune de François Redont.

Étape 8 : François Martineau

Tout naturellement, le propriétaire suivant fut son gendre, Martin Martineau, qui était conseiller secrétaire du roi. Il s’occupait des affaires du duc de Montpensier et figure dans de nombreux actes concernant le prince des Dombes. En décembre 1610, Charlotte de Nassau, princesse d’Orange et veuve du duc de La Trémoille, munie d’une procuration d’Henri de La Tour, duc de Bouillon, loua pour deux ans à Martin Martineau la partie droite de la maison, petite cour, grande cour et jardin. Martin Martineau réserva à son usage personnel le corps de logis donnant sur la rue13.

Étape 9 : 1612. Où le duc de Bouillon réunit deux hôtels

Le duc de Bouillon devait bien se plaire dans cet hôtel puisqu’il n’attendit point la fin du bail de deux ans pour acheter l’ancien hôtel Dauphin à Martin Martineau : le 7 mars 1612, devant le notaire Hautdesens, il acquit de Martin Martineau, baron de Thuré la « grande maison appelée hôtel Dauphin « 14. L’acte de vente décrit très peu les bâtiments : l‘hôtel Dauphin consistait en plusieurs corps de bâtiments, cours et jardins. Il versa au sieur Martineau l’énorme somme de 90 000 livres pour entrer en possession de cet hôtel.

Portrait d’Henry de La Tour, duc de Bouillon

Quelques mois plus tard, le 9 juillet 1612, le maréchal de Bouillon acquit la maison voisine qui avait été la propriété de François Bastonneau, notaire et qui faisait enclave depuis plus de 70 ans. La nouvelle propriétaire était Marie Bastonneau, veuve d’un auditeur à la Chambre des Comptes et petite-fille du très connu notaire. La vente se fit moyennant une rente de 1200 livres rachetable à 24 000 livres et en outre à la charge de maintenir dans les lieux un locataire qui était lieutenant dans la compagnie des chevaux-légers du roi15. La maison se présentait alors avec deux corps d’hôtel joignants, une grande cour et une petite cour qui dépendait d’un des deux corps de bâtiment qui comportait de surcroit une écurie. Un jardin se trouvait derrière qui touchait le petit pré aux clercs. Marie Bastonneau avait hérité la propriété de sa soeur Louise qui était décédée le 25 août 1601. Cette dernière avait perdu le 3 septembre 1599 son époux, Jérôme Bureau, conseiller du roi et auditeur en la chambre des comptes qui avait donné par deux fois l’une des deux maisons. La première fois, il céda en 1592, entre autres choses, par don irrévocable entre vifs la moitié par indivis de la maison cour et jardin qui tenait à droite à l’hôtel du Prince-Dauphin et à gauche à  la maison de sa femme Louise Bastonneau. Cette maison leur appartenait, à lui et sa femme, chacun par moitié, par la vente que lui avait faite son beau-frère François Bastonneau16. La deuxième donation eut lieu en 1595 en faveur de Ennemond Servient, son beau-frère, à cause des bons services qu’il lui a rendu « mesmes depuis le commandement des présents troubles et lorsqu’il fut pris prisonnier en sa maison es-dictz faubourgs Sainct-Germain-des-Prés à la feste de la Toussaint 1589 ». Il s’agit de la même maison qui tenait à main droite à « l’hostel de monseigneur le duc de Montpensier »17

Par ces deux acquisitions, le duc de Bouillon eut entre ses mains la totalité de l’espace qui fut ensuite occupé par l’hôtel de Liancourt puis de la Rochefoucauld, à l’exception de deux petites maisons de la rue des Marais(Visconti) qui furent acquises plus tard.

Impatient d’avoir son hôtel bien à lui, le duc de Bouillon n’attendit que deux mois pour faire procéder à des remaniements et des constructions dans son nouveau domaine18. Il choisit Salomon de Brosse, un architecte très prisé qui construisait à la même époque le palais du Luxembourg pour la reine Marie de Médicis, veuve d’Henri IV. Il choisit de réutiliser une partie de l’hôtel Dauphin en le complétant par un grand corps de logis de 14 toises de long (un peu plus de 27m) sur 24 pieds de large (8m environ). Il lui en coûta 25 000 livres !

Signature de Henry de la Tour au bas du marché entre celui-ci et Desbrosses et Le Mercier

Né au château de Joze près de Clermont le 28 septembre 1555, Henri de La Tour, duc de Bouillon, prince de Rocourt, souverain de Sedan, vicomte de Turenne, premier maréchal de France  eut un parrain prestigieux : le roi Henri II. Sa mère mourut deux ans après sa naissance et son père décéda alors qu’il n’avait que quatre ans. Il fut donc élevé par son grand-père maternel, le connétable de Montmorency, qui lui fit donner une éducation toute militaire et fréquenter la Cour. Il se convertit au protestantisme après la Saint-Barthélemy et ne s’en départit jamais malgré les pressions de son entourage. Il rentra au service du futur Henri IV qu’il servit avec passion et fidélité. En récompense, Henri IV lui permit d’épouser Charlotte de La Marck qui lui apporta les titres de duc de Bouillon et de prince de Sedan (détail curieux, elle était la nièce du duc de Montpensier, ancien propriétaire de l’hôtel Dauphin !) . Henri IV signa le traité de mariage le 15 octobre 1591 et le fit maréchal de France l’année suivante ! Malheureusement son épouse mourut 3 ans plus tard au château de Sedan des suites d’un accouchement d’un fils mort-né.

Elle avait légué à son époux ses terres souveraines : le duché de Bouillon et la principauté de Sedan. Charles Robert de La Mark, oncle de Charlotte et le duc de Montpensier contestèrent ce testament et il fallut recourir à Henri IV pour en obtenir l’application19.

Veuf,  il rencontra, lors d’un séjour à la Cour, la princesse d’Orange, Louise de Coligny, qui y était venue avec ses deux belles-filles, Elisabeth et Charlotte-Brabantine de Nassau. Henri de La Tour d’Auvergne sollicita la main d’Elisabeth de Nassau et l’épousa le 16 février 1595. Par ce mariage il s’alliait à une maison souveraine allié à toutes les cours princières d’Allemagne. Il était très amoureux de sa nouvelle femme qui lui donna neuf enfants dont l’un deviendra par la suite le « grand Turenne ». En 1602, impliqué dans la conspiration du maréchal de Biron, il dût se retirer dans sa vicomté de Turenne. Henri IV le somma de se justifier mais au lieu d’obéir, il passa dans le Palatinat où il resta jusqu’à qu’il se réconcilia avec lui. Le boulet de la colère du roi était passé bien près de ses moustaches !

Portrait d’Elisabeth de Nassau, femme d’Henri de La Tour, duc de Bouillon

Mais à partir de 1612, son état de santé se dégrada. Il était atteint de crises de goutte de plus en plus fréquentes au point qu’il ne pouvait ni marcher, ni écrire.

C’est à cette époque qu’il acquit la maison des Bastonneau et l’hôtel Dauphin. Pour réunir les deux propriétés de façon cohérente, il fit appel à l’architecte Salomon de Brosse, huguenot comme lui. Celui-ci garda les bâtiments de droite qui faisait partie de l’ancien hôtel Dauphin et  construisit un corps d’hôtel plus un pavillon à l’identique du pavillon de droite à la place de la maison des Bastonneau. Le nouveau bâtiment s’étendit sur 14 toises de long (environ 24m) sur 24 pieds de large (un peu moins de 8m). Du côté du jardin, entre les deux pavillons  extrêmes, il fit faire une grande terrasse à balustres à claire voie et quelques marches de cliquant pour y accéder20.

Les travaux terminés, il fit appel à Jean Le Nôtre pour aménager le nouveau jardin qui réunit celui du duc de Montpensier à celui des héritiers Bastonneau. Il lui demanda d’arracher tout ce qui existait dans les anciens jardins, d’aplanir le terrain, de retirer les gravas que les maçons avaient laissés en les enfouissant dans les futures allées , de planter tout le long des murailles à droite et à gauche du jardin des espaliers d’arbres fruitiers qui seront attachés aux murs par des crampons de fer, de faire un parterre carré de la largeur du jardin planté de buis selon le dessin fourni par le duc. Le milieu du parterre devait recevoir les plus beaux arbres à fleurs trouvés en France ou à l’étranger. Le pourtour du jardin devait être des allées sablées. Dans le fond du jardin, du côté de la rue Bonaparte (rue de la Petite Seine à l’époque), on trouvait un bosquet d’ormes, d’érables et de charmes. Le sieur Le Nôtre reçut la somme de 1000 livres pour ces travaux21. Le même jour, le duc de Bouillon signa un contrat d’entretien avec Pierre Bouchard, maître jardinier, pour arroser, renouveler les plantes à fleurs, les buis et arbres fruitiers. Il ne pourrait ni vendre, ni donner des fruits et des fleurs « tant que monseigneur ou madame seraient à Paris. Le duc offrait le logement pour lui et sa famille, et un salaire de 300 livres par an

La santé du duc de Bouillon ne s’améliora guère au cours des années suivants et il mourut le 25 mars 1623 à Sedan.

La famille garda l’hôtel pendant plusieurs années encore… jusqu’au 5 février 1631, date à laquelle Frédéric Maurice de La Tour, duc de Bouillon se présenta devant les notaires Hautdesens et Richer en compagnie d’André Justel qui représentait la duchesse douairière de Bouillon pour vendre à haut et puissant seigneur Roger du Plessis, seigneur de Liancourt, comte de La Rocheguyon et de Beaumont sur Oise et à Jeanne de Schomberg, son épouse pour la somme de 129 000 livres22

Signatures de la vente de Frédéric François de La Tour à Roger du Plessis et Jeanne de Schomberg

1632-1674 : Le duc et la duchesse de Liancourt 

Roger du Plessis était le fils de Charles du Plessis-Liancourt et d’Antoinette de Pons, la ravissante marquise de Guercheville  qu’Henri IV poursuivit de ses assiduités. Sa jeune femme, Jeanne de Schomberg était la fille d’Henri de Schomberg, homme instruit et de goût qui la força à épouser François de Cossé-Brissac qui lui répugnait. N’ayant jamais voulu consentir à être sa femme et ayant un caractère affirmé, elle parvint à faire annuler ce mariage qui, dit-on, ne fut jamais consommé. Elle épousa alors celui qu’elle aimait : Roger du Plessis, duc de Liancourt.

Ce dernier était fort beau et bien fait mais la vie de la jeune femme n’était pas facile car son mari était volage. Tour à tour il disputa Mlle de Colligny-Cressias à son beau-frère et surtout Mlle de Hautefort à Louis XIII qui apprécia fort peu cette concurrence.

Cependant le couple décida d’entreprendre des travaux dans leur nouvelle demeure pour la rendre plus confortable. Pour ce faire ils choisirent comme entrepreneur Fremin de Cotte, juré du roi en l’office de maçonnerie et comme conducteur d’ouvrage le sieur Petit architecte du roi23. En cas de litige entre les parties, il fut convenu que le sieur Le Mercier, architecte des bâtiments du roi trancherait le différend pour éviter un procès. Mais cet acte du 11 avril 1635 fut remplacé par celui du 13 juillet 1635 qui était proche du précédent et confirmait qu’en cas de litige le différend serait soumis au jugement de Le Mercier.

Selon l’ouvrage d’Alexandre Gady, Jacques Lemercier , architecte et ingénieur du Roi, Roger du Plessis fit détruire et reconstruire le corps d’hôtel qui était parallèle à la rue de Seine entre la cour et le grand jardin ainsi que celui de gauche en entrant dans la cour. Il y inclut un escalier monumental dont le vestibule de rez-de-chaussée était pavé de marbre noir et de carreaux de liais et orné de colonnes24. La dame de Liancourt fit faire par un serrurier du nom de François Marchant, une volière de 15 toises (11 mètres environ) sur 14 pieds de hauteur (à peu près 4,5 mètres) contenant des ferronneries de feuillage et fleurs25.

L’hôtel se compose d’un long corps de logis entre cour, jardin et par derrière vers la rue des Petits Augustins d’un grand jardin.

Le 21/12/1689, la marquise d’Uxelles dans une lettre à la Garde raconte : « Je vis hier un spectacle qui me fit horreur : l’hôtel de La Rochefoucauld en est le théâtre. Le feu y prit la nuit, on ne sait comment, du côté du garde-meuble, dans l’aile à main gauche. Tout fut brûlé quant aux combles en deux heures de temps. On a perdu beaucoup de meubles; tout fut jeté des appartements en bas, dans la cour et dans le jardin, parce qu’on avait peur que les planchers ne tombassent, et il y eut mille personnes qui vinrent au secours et pour voler. Les Augustins firent des merveilles … L’abbé de Marsillac, Mesdemoiselles ses sœurs passèrent la nuit un pied chaussé et l’autre nu, dans le jardin. j’ai bien peur que ce premier ne s’en trouve mal, la gelée étant à pierre fendre … M. de La Rochefoucald, averti en diligence, arriva sur les onze heures du matin que le feu commençait à s’éteindre ».

Dans une lettre de Mme de Sévigné à madame de Grignan, datée du 12/02/1690 on lit que « tout l’hôtel de La Rochefoucauld est délogé, persécutés par l’eau après l’avoir été par le feu. L’eau est dans notre rue jusque chez M. le Jai ».

Dans une autre lettre datée du 20/01/1672 à madame de Grignan, on peut lire : « Voici les maximes de M. de La Rochefoucauld, revues, corrigées et augmentées : c’est de sa part que je vous les envoie. Il y en a de divines ; et à ma honte, il y en a que je n’entends point »


  1. A.N. ; LL1124, comptes de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés 

  2. Le cens est une sorte de redevance foncière perçue par le seigneur sur la parcelle de terre qui est en sa censive. Dans le cas qui nous occupe le terrain était dans la censive de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés 

  3. . Son tombeau, que l’on peut voir au Louvre, fut commandé en 1557 par contrat entre sa soeur et Pierre Bontemps sculpteur :

    Tombeau de C. de Maigny Photo © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) Stéphane Maréchalle

    Nous avons représenté çi-dessous la possession de Charles de Maigny. Le terrain quadrillé est l’empreinte du futur hôtel de La Rochefoucauld .

    Le terrain qui fut vendu à C. de Maigny par l’abbaye de Saint-Germain-des-Près. La partie quadrillée représente l’empreinte l’hôtel de La Rochefoucauld, en jaune le petit pré aux clercs.

    Etape 2 : Charles de Maigny et François Bastonneau

    Quelques jours après son acquisition, le 19 septembre 1538, devant les notaires Chenu et Maupéou, Charles de Maigny revendit un tiers de sa parcelle  à maître François Bastonneau notaire, soit un demi arpent (1700 m2 environ) ((A.N. ; M.C. ; VIII/158, 25/09/1577, inventaire des biens de Marguerite Delarche, veuve de Me François Bastonneau 

  4. A.N. ; M.C. ; VIII/179, vente à Jean-Jacques de Mesmes du 23/08/1540 

  5. A.N. ;M.C. ; ET/VIII/179 , acte de vente par Charles de Maigny à Nicole Dangu, évêque de Seez du 9/12/1540 

  6. A.N. ; LL/1125 

  7. A.N. ; M.C. ; XXXVI/138 P62 

  8. Les ducs de Montpensier par Gabriel Depeyre  page 51, ouvrage qu’on peut consulter sur Gallica 

  9. A.N. ; 90AP/24 

  10. A.N. ; M.C.; VIII.120; acte du 27/02/1602 

  11. Et non Pénillac comme l’affirme M. Berty dans sa Topographie historique du vieux Paris 

  12. A.N. ; S 3058 

  13. A.N. ; M.C. ; XXIII/241 F°452, bail à Henri de La Tour en date du 20/12/1610 

  14. A.N. ; M.C. ; LIV/479 ; vente du 7/03/1612 

  15. A.N. ; M.C. ; LIV/479, acte du 9 juillet 1612 

  16. A.N. ; Y133 F°57 V°, ; donation de Jérôme Bureau à son frère du 6 août 1592 

  17. A.N. ; Y134 F°425 V°, donation de Jérôme Bureau du 27/09/1595 

  18. A.N. ; M.C. ; XXIV/245 ; 1/09/1612, marché de travaux de maçonnerie, menuiserie …  

  19. Article de Jean Luc Tulot que l’on peut trouver avec le lien suivant : http://jeanluc.tulot.pagesperso-orange.fr/Henridelatour.pdf 

  20. A.N. ; M.C. ; XXIV/245, marché entre le duc de Bouillon et Salomon de Brosse du 1er septembre 1612 

  21. A.N. ; M.C. LIV/481; acte du 7 août 1613 

  22. A.N. ; M.C ; LI/ 161, 5 février 1631 

  23. Il peut s’agir de Louis Petit architecte de S.M. et qui vivait rue de Seine en 1637 d’après un acte du minutier central des archives nationales -ET/I/ 118 

  24. A.N. ; Z/1j/260; estimation d’ouvrages du 23/12/1642 

  25. A.N. ; M.C. ; XCVIII/125 , mai, juin, juillet 1637 

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