Le 21 rue de Seine et le 22 rue Mazarine

Le 21 rue de Seine et le 22 rue Mazarine

Le 21 rue de Seine est un immeuble d’aspect certes modeste mais son histoire et celle de ses habitants et propriétaires sont passionnantes.

Il fut fort longtemps la propriété de générations d’apothicaires et de médecins qui ont fréquenté les plus grands personnages de leur époque, il connut aussi comme propriétaire une femme dont l’ascension sociale en étonnera plus d’un.

Cet édifice mérite aussi toute notre attention parce qu’il a conservé au cours des siècles une disposition qu’on ne rencontre plus guère maintenant : il communique directement par derrière avec la rue Mazarine par l’immeuble  du n° 22. Ce dernier qui reste tel qu’il était au XVIIe siècle a partagé bien souvent ses propriétaires avec ceux de son voisin.

Ces deux maisons ont donc des histoires si fortement imbriquées que nous ne séparerons pas ces soeurs siamoises et nous les ferons revivre ensemble.

1532-1542 Gilles Le Maistre

Gilles le Maistre qui est évoqué dans l’histoire générale de la rue de Seine bailla le  27 janvier 1542 (n.s.) à une certain Guillaume Fournier, maître charpentier de grande cognée,  le lot qui recouvre et dépasse actuellement largement les 21 rue de Seine et 22 rue Mazarine puisqu’il avait une surface de 258 toises (1000 m2 environ)1. En vérité, ce terrain s’étendait depuis le 21 jusqu’au 25 rue de Seine et du 22 au 26 rue Mazarine.

1542-1582 La famille Fournier

Guillaume Fournier dut verser  à Gilles La Maistre 12 livres 18 sols de rente annuelle et  2 sols 8 deniers de cens aux bons moines de l’abbaye. Il promit d’entourer sa pièce de terre de bonnes murailles et d’y construire dans les deux ans une maison « manable »2. Ses voisins étaient à l’époque Claude Billart à gauche et Jean Duchesne à droite.

En 1548, il figure encore sur le cueilleret de l’abbaye mais Jacques Legros, marchand de soie remplaçait Claude Billart3.

Déclaration concernant Guillaume Fournier (A.N. ; LL1125)

De Guillaume Fournier charpentier pour sa maison, jardin et lieu, comme il se comporte contenant 258 toises tenant d’une part aux héritiers feu Jehan Bastier, d’autre part à Jacques Legros. Qui doit de cens chacun an icelluy, jour sainct Remy à sa mesure et prix dessus dict : 2 sols 6 deniers obole

À sa mort, il y eut  partage dans le sens de la longueur du terrain puisque Paul Fournier, maître charpentier,  eut la maison qui était sur l’emprise du 21 rue de Seine et du 22 rue Mazarine tandis qu’à Louis Fournier échut la maison qui la suivait en allant vers la rue de Bussy et à Jean s’installa dansla maison suivante.

La répartition après partage. Jean rachètera plus tard la part de Paul

Paul Fournier vendit sa maison  le 7 décembre 1575 à son frère Jean, aussi maître charpentier, qui lui-même la revendit 7 ans plus tard, le 7 avril 1582, à Alexandre de Montmiral4.

1582-1602 Alexandre de Montmiral

Siméon-Alexandre de Montmiral alla habiter avec sa femme, Jeanne de Charbiny, dans la maison, qui était construite à cette époque. Mais quand il devint le chargé d’affaires de Louise de Bretagne-Avangour, veuve de Gui de Castelnau-Clermont, le couple s’installa au château de Castelnau-Bretonou où sa femme devint dame de compagnie de la châtelaine. À cette période, le siège de Paris par Henri IV faisait beaucoup de dégâts dans la rue de Seine. La maison des Montmiral fut ruinée et c’est une simple place vide où ne restait que du plâtre que les Montmiral vendirent en 16025 .

Château de Castelnau-Bretonou

1602-1664 La famille Cattier

Les acheteurs étaient Aggée et Daniel Cattier, deux frères maîtres émailleurs en terre et huguenots surcroit. Ils venaient de Picardie et payèrent comptant 250 écus soleil le terrain et s’engagèrent à y construire. Ils n’étaient pas riches, ils édifièrent donc tout d’abord une seule maison, du côté des fossés d’entre les portes de Bussy et de Nesle (maintenant rue Mazarine). La maison étroite (deux travées de large) mais profonde comportait deux étages et un grenier. La longue allée qui la traversait conduisait à une cour bordée d’un côté d’une galerie avec des sièges d’aisance et de l’autre d’un appentis avec une cuisine et un galetas au-dessus. Suivaient une montée hors-œuvre et un deuxième petit édifice à un étage et grenier au-dessus. Au-delà se trouvait un jardin avec un puits et un appentis qui abritait leurs fourneaux. Les deux frères n’en firent commencer la construction qu’en 1607 qui leur coûtèrent la somme de 1450 livres tournois  6. Auparavant, ils avaient fait édifier le mur de séparation avec leur voisin vers la Seine M. Hellot qui leur fut facturé 90 livres tournois dont ils se firent rembourser la moitié par ce dernier7 .

Signatures au bas du contrat (Descamyn est le procureur de Montmiral)

Pour améliorer leurs affaires, les frères Cattier louèrent en 1610, une partie de leur maison sur les fossés à Gilles Ranisant, gentilhomme suivant le roi, pour 225 livres de loyer par an8.

En 1606, Daniel Cattier prit femme en la personne de Marie Greban qui était l fille d’un horloger du roi9. Quatre enfants furent les fruits de ces épousailles : Philippe qui devint avocat en Parlement, Marie qui épousa Jean Blisson, marchand et bourgeois de Paris, Daniel dont on ne sait rien et Anne, la plus jeune, qui épousa  Pierre Elle dit Ferdinand, peintre du roi10.

Cinq ans plus tard, son frère Aggée Cattier épousa Louise Dallemaigne, fille d’un chirurgien juré en l’Université de Paris11. Les jeunes mariés eurent aussi trois enfants : Isaac qui devint docteur en médecine, Aggée qui exerça la profession d’orfèvre et enfin Marie qui épousa Jean Boursin, aussi orfèvre de son état.

Signatures du contrat de mariage d’Aggée Cattier avec Louise Dallemaigne en 1611

Maintenant que deux familles étaient fondées, une nouvelle maison fut construite du côté de la rue de Seine. Le bâtiment avait deux travées de large seulement et deux étages de hauteur dont un en galetas, et un grenier. Une allée le traversait avec d’un côté une boutique et une petite salle et de l’autre, une cuisine, un escalier pour monter aux étages et un « siège de privé » à côté. En dessous, on trouvait des caves. Au bout de l’allée, il y avait la cour avec son puits et au fond une petite construction avec un cellier au rez-de-chaussée, une chambre au-dessus et un grenier. Ensuite, on pénétrait dans le jardin qui faisait un peu le no man’s land entre les maisons des rues de Seine et Mazarine dans lequel les frères émailleurs avaient installé leur four.

Les affaires semblent bien marcher pour Daniel puisqu’il acheta en 1612 une loge à la foire Saint-Germain qu’il paya 1500 livres.

En 1613, les deux frères décidèrent de sortir de l’indivision dans laquelle ils se trouvaient afin que chacun puisse vivre en ses murs.  Aggée prit possession de la maison de la rue de Seine décrite ci-dessus avec ses dépendances jusqu’au jardin qui devint la propriété de son frère Daniel avec la maison sur le fossé d’entre les portes de Bussy et de Nesle12 et ses dépendances13.

Daniel Cattier mourut en 1642 en sa maison rue du fossé d’entre les portes de Bussy et de Nesle. Son inventaire montre que Daniel vivait confortablement de ses émaux. Il s’était fait un bel intérieur, pouvait manger dans la vaisselle d’argent et possédait chez lui à sa mort en espèces la coquette somme de près de 10 000 livres.

Le destin de la maison rue de Seine

Du côté de chez Aggée, à la mort de leurs parents, les trois enfants se partagèrent leurs biens le 16 janvier 164314. Ce fut Aggée fils, marchand orfèvre, qui eut  la maison. Il n’en profita qu’une dizaine d’années puisqu’il mourut vers 1655, sans descendance.

Le 25 août 1655, Isaac et Marie  procédèrent au partage des biens de leur frère. La maison fut attribuée à Jean Boursin et Marie Cattier, sa femme15.

Le couple n’habitait pas là et la maison était louée depuis fort longtemps pour 600 livres par an au sieur Dallemaigne, maître barbier chirurgien et probablement un parent. Jean Boursin lui renouvellera son bail le 14 août 1660, pour cinq ans, somme qui sera un peu plus tard portée à 700 livres16.

Hélas, malgré ce revenu, des difficultés financières survinrent. Le 25 mars 1664, ils vendirent leur maison à un certain sieur Bourdelin, apothicaire, pour la somme de 16 000 livres17.

1664-1812. Pendant près de 150 ans, la famille Bourdelin 

 La vente se fit moyennant 16 000 livres. Claude Bourdelin était apothicaire de son état. Selon l’éloge qui fut prononcé à sa mort par Fontenelle, Claude Bourdelin était né à Villefranche de Beaujolais en 1621. Devenu orphelin très jeune, il fut emmené à Paris par son tuteur et apprit, dit-on, le grec et le latin afin d’exercer la pharmacie et la chimie

Il fut d’abord apothicaire chez Monsieur, frère du roi et acquit rapidement la réputation d’un homme fort savant. Cependant, lorsque Gaston d’Orléans fut mêlé à la Fronde, il prit peur et alla installer son apothicairerie dans l’hôtel de Liancourt, rue de Seine. L’affaire des Provinciales toucha le duc qui dut s’exiler en son château du Beauvaisis. Fidèle, Claude Bourdelin le suivit mais s’ennuyant profondément, il alla installer une apothicairerie à Senlis où la bonne société se mit en quatre pour faire rencontrer à cet homme de quarante ans une “bonne personne” à marier. Elle lui choisit Madeleine de La Mothe, de vingt-deux ans sa cadette ! Il l’épousa le 10 février 1662. Le premier enfant se fit attendre cinq longues années, ce qui n’était point étonnant puisqu’il laissait  la plupart du temps sa femme seule à Senlis car à la mort de Gaston d’Orléans il avait fait transférer sa charge auprès de Philippe d’Orléans18. C’est alors qu’il acheta la maison de la rue de Seine, juste en face de son cher hôtel de Liancourt.

Une apothicairerie

A la fondation de l’Académie Royale en 1666, Colbert l’y appela en qualité de chimiste. Il en devint un des plus distingués de ses membres et travailla avec une ardeur hors du commun puisqu’il présenta  à ses confrères plus de deux mille analyses.

Présentation au roi des membres de l’Académie des Sciences (Testelin)

De Madeleine de La Mothe, il eut deux fils, Claude II et François. Claude II, l’aîné, était un scientifique très précoce tandis que François, le cadet, avait des goûts qui le portaient plutôt vers les lettres et surtout les langues étrangères, ce qui plaisait bien moins à son père.

Il  acheta en 1690 par adjudication la maison qui était derrière la sienne, sur les fossés de la Ville (maintenant rue Mazarine) . En effet, lors du décès de Daniel Cattier, il y eut partage19. Elle échut alors à Jean Blisson et Marie Cattier, sa femme. À la mort de sa femme, ce dernier fit une déclaration à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés qui la décrivait ainsi :  » consistant en un corps de logis de deux travées de profondeur couverte de thuilles en comble à esgoust sur lad rue et sur la court appliqué au rez-de-chaussée à une petite boutique sepparée en deux d’une cloison de massonnerie et charpentes, une salle au derrière de lad boutique, une allée à costé d’icelle, une escurie attenant sur la rue, quatre berceaux de cave soubz led rez-de-chaussée, trois estages audessus dud rez-de-chaussée et aultres lieux , appartenances et despendances ainsy qu’elle se poursuit et comporte, tenant d’une part au sieur de Riancourt, auditeur des Comptes, d’aultre au S. Gayant, chyrurgien, d’un bout par derrière au S. Bourdelin »

Ensuite  la maison appartint à ses deux filles Anne et Judith dont le tuteur  la vendit la 4 février 1690 à Claude Bourdelin pour la modeste somme de 7 250 livres  20. Ainsi l’ensemble revint entre les mains d’un seul propriétaire comme au temps des premiers Cattier.

Claude Bourdelin atteint ainsi doucement ses 70 ans. Le grand âge a aussi ses joies. C’est ainsi qu’il vit son fils aîné Claude II devenir docteur en médecine de la Faculté de Paris et s’unir à Françoise Claire Mercier.

Le château de Liancourt par Israël Silvestre

Malheureusement, un soir d’automne de 1699, notre ami qui avait maintenant 78 ans prit froid et mourut. On était le 15 octobre. Le 2 septembre précédent  il avait lu et démontré à ses collègues son analyse sur la dilatation du sang.

Malheureusement, un soir d’automne de 1699, notre ami qui avait maintenant 78 ans prit froid et mourut. On était le 15 octobre. Le 2 septembre précédent  il avait lu et démontré à ses collègues son analyse sur la dilatation du sang.

Ce fut Fontenelle qui prononça son éloge à l’Académie des Sciences.

La deuxième génération : Claude II, médecin de la duchesse de Bourgogne

Claude II Bourdelin, médecin

Son fils Claude II fit une carrière fulgurante : en 1699, il entra à l’Académie des Sciences comme anatomiste. Quatre ans plus tard, il acheta la charge de médecin ordinaire de la duchesse de Bourgogne. À la mort de Bourdelot,  premier médecin, la princesse proposa elle-même au Roi le nom de Bourdelin. Il devint donc en 1708 le premier médecin de la Dauphine, celle que Louis XIV aimait tant.

Un relevé d’honoraires pour Claude Bourdelin, médecin de la duchesse d’Orléans

Quelles émotions s’emparèrent de lui lors de sa prestation de serment ? lorsqu’il se trouva à genoux sur « un carreau de velours21  » aux pieds de la Dauphine et que le secrétaire des commandements prononça alors les paroles du serment :   « Vous jurez et promettez à Dieu de bien et fidèlement servir Madame la Duchesse de Bourgogne en l’estat et charge de son  premier médecin dont le Roy vous a pourvu … »  .

Les honoraires qu’il reçut à partir de ce jour furent à la hauteur de ses hautes responsabilités, près de 5 400 livres par an.

À la fin de l’année 1692, Claude II épousa Françoise Claire Mercier, fille de Louis Mercier, bourgeois de Paris et de Geneviève Guidé qui amenait une dot confortable de 30 000 livres et des espérances. Les parents du futur époux donnait aussi 30 000 livres dont la maison de la rue Mazarine estimée à 20 000 livres dans la contrat de mariage22. Il est intéressant pour la suite des événements que signait au contrat Louis Stocq sieur de Rumilly, grand-oncle du futur.

« Les espérances » ne tardèrent pas à se concrétiser en une maison située rue du Sépulcre (l’actuelle rue du Dragon).

Après la disparition de leur mère, les deux frères, Claude et François, signèrent, en 1707, une convention de partage dont ils excluaient la maison de la rue de Seine qu’ils louèrent au sieur Pradinac, apothicaire, puisque aucun d’entre eux n’habitait alors à Paris. Claude II était près la cour et François, son frère, résidait au Danemark. Cependant, trois ans plus tard, Claude II qui possédait déjà l’immeuble de la rue Mazarine  racheta sa part à son frère pour 10 000 livres et devint ainsi le propriétaire d’un bien immobilier allant de la rue Mazarine à la rue de Seine..

Pour accomplir tous les devoirs de sa charge à Versailles, Claude II prenait beaucoup de café pour “s’empêcher de dormir” et rattraper le sommeil qui lui manquait, il s’adonnait de plus à l’opium. L’association n’était pas des meilleures ! Après être tombé par degrés dans une grande exténuation“, il mourut à Versailles “d’hydropisie de poitrine” le 20 avril 1711.

Acte de décès de Claude Bourdelin (Etat civil des Archives départementales des Yvelines- Versailles)

Il laissait un fils aîné de quatorze ans, Louis-Claude, un cadet Henry-François, âgé de deux ans, ainsi qu’une veuve « joyeuse » qui ne tarda pas à épouser un beau militaire fort dispendieux.

Quant à François, son frère, il eut une vie assez chaotique.  Comme dans son jeune âge il accompagnait son père dans tous ses voyages il prit le goût des langues, et apprit l’anglais, l’allemand, l’italien, l’espagnol et même quelques rudiments d’arabe. Il devint secrétaire d’ambassade auprès de M. de Bonrepos, ambassadeur au Danemark. Mais de santé fragile, il dut rentrer en France au bout de 18 mois et devint conseiller au Châtelet. Mais cela ne lui plaisait guère. Il devint traducteur des dépêches de M. de Pontchartrain, son ami. Il eut alors un autre désir, celui d’être employé dans des négociations. Il prit alors la charge de gentilhomme ordinaire du roi23, pensant que le crédit de son frère auprès de la Dauphine lui apporterait des missions.

Hélas, en 1711 son frère mourut et la Dauphine décéda en 1712. Découragé, il se maria et acheta une terre près de Paris. L’heureuse élue était Anne Françoise Brion dont il aura un garçon, Albert-François. Quant à la terre, nous ne savons où elle se situait, mais c’est peut-être à Rumilly puisqu’il prit le nom de Bourdelin de Rumilly. Cet achat lui causait une multitude de soucis et de fatigues. Son ancienne langueur lui revint, la fièvre s’y joignit et l’emporta en moins de trois semaines. Il mourut le 24 mai 1717, à l’âge de 49 ans. Son fils Albert-François n’avait que dix mois !

La troisième génération : Louis-Claude, médecin des filles de Louis XV.

Louis-Claude Bourdelin, le fils de Claude II, fut admis en 1725 à l’Académie des Sciences, à 29 ans seulement. Il devint ensuite doyen de la Faculté de Médecine, puis professeur au Jardin du Roy en 1743. Sa carrière atteint son sommet lorsqu’en 1761 il fut nommé premier médecin de Mesdames les filles de Louis XV.

En 1740, avec son frère Henry François, ils décidèrent de partager les maisons de la rue de Seine et de la rue Mazarine

Le partage fut signé, devant Me de Savigny, le 30 juillet 1740.  La maison de la rue de Seine échut à Henry-François et celle de la rue Mazarine devint la propriété de Louis-Claude.

En 1740, avec son frère Henry François, ils décidèrent de partager les maisons de la rue de Seine et de la rue Mazarine. Le partage fut signé, devant Me de Savigny, le 30 juillet 1740.  La maison de la rue de Seine échut à Henry-François et celle de la rue Mazarine devint la propriété de Louis-Claude.

Sa vie ne fut pas un long fleuve tranquille. En 1732, il perdit son beau-père, le sieur Hardy, qui avait dissipé la fortune de sa mère et laissait des dettes considérables qu’il fallut rembourser.

Il vit aussi disparaitre Henry-François Bourdelin de Rumilly, son jeune frère de 13 ans son cadet, son disciple aimé entre tous,  docteur régent de la faculté de médecine promis à une brillante carrière qui mourut en février 1750 à l’âge de quarante ans et qui laissait de son mariage avec Marie-Madeleine Quignon. deux enfants, Adélaïde-Madeleine et Louis-François

 Claude-Louis en devint le tuteur et les aima comme ses enfants, lui qui n’en avait pas. Il prit aussi soin de sa belle-sœur qui était dans une situation financière délicate : elle avait bien les revenus des locataires de la maison de la rue de Seine : Desissard, apothicaire, louait une des boutiques tandis que l’autre était louée par Trucheau, cordonnier. Les Charpentier occupaient au second un appartement sur le devant, un abbé nommé Picard logeait sur le derrière, demoiselle Fasquel occupait le troisième étage tandis que le sieur Bourbonnier louait le quatrième. Tous ces loyers rapportaient, bon an mal an, 1050 livres. Mais cela ne suffisait pas : elle se résigna à quitter l’appartement du premier étage sur la rue de Seine, dont le loyer était estimé à 350 livres par an pour s’installer dans celui du second du bâtiment sur la cour. Il fallait économiser …

En l’été 1762, alors que Louis-Claude suivait Mesdames les filles de Louis XV à Plombières, sa femme tomba gravement malade.  Il la confia aux soins de son aide nommé Bouvart. Le 12 août,  se sentant au plus mal, elle rédigea son testament d’une écriture tremblée. Une quinzaine de jours après, elle rendait son âme à Dieu. Son mari ne put se dégager de ses obligations « étant à la suite de Mesdames de France » . Il se fit représenter à la messe de sépulture !

Treize ans après, Louis-Claude Bourdelin perdit son neveu, le seul héritier de son nom et son disciple. Très affecté par toutes ces disparitions, il n’avait plus aucun goût à la vie et mourut sans postérité le 13 septembre 1777.

La quatrième génération : Adélaïde-Madeleine Bourdelin

Adélaïde-Madeleine, la fille de Henry-François Bourdelin avait épousé en 1765, Adrien Christophe Bellot de Busy, écuyer, ancien lieutenant-colonel au service du roi et de la République de Cologne, contrôleur général de l’extraordinaire des guerres.

À la disparition de son frère Louis-François, elle était devenue en 1777 propriétaire de la totalité de l’immeuble de la rue de Seine. La mort de son oncle lui donna celui de la rue Mazarine. Le couple s’y installa.

Son mari mourut à l’aube de la révolution, en juillet 1789. Devenue veuve, elle épousa François-Xavier Aubéry qui était un fieffé personnage. Il fit tant et si bien qu’il dressa sa femme contre ses enfants et dépensa joyeusement la fortune, fort belle, de son épouse. Ruinés, le 24 octobre 1812, les époux vendirent les maisons des rues de Seine et Mazarine. moyennant 45 000 F, ce qui était peu.

Le couple, retiré à Pontoise, mourut dans la misère.

1812-1819. Simon Crouillebois

Simon Crouillebois, l’acheteur, était entrepreneur en bâtiments. Propriétaire du magnifique hôtel de Sens, il l’avait vendu pour acquérir ces deux maisons. Celle de la rue de Seine avait alors deux corps de logis séparés par une petite cour et traversés par une allée donnant sur la cour de la maison de la rue Mazarine.

Quant à la maison de la rue Mazarine, elle consistait en un grand corps de avec des ailes en retour à droite et à gauche qui donnaient sur une cour avec un puits.  Divers bâtiments joignaient le corps de logis principal à celui de l’arrière de la maison rue de Seine.

Les époux Crouillebois, criblés de dettes, ne gardèrent les lieux que 7 ans. Ils les vendirent le 9 juin 1819 au sieur Robert-Augustin Lecouturier et à son épouse Élisabeth-Éléonore Deslandes. Comme ils en reçurent 75 000 francs, ils faisaient ainsi une magnifique plus-value.

1819-1924. La famille Lecouturier

Dès l’acte de vente signé, les époux s’installèrent rue de Seine dans un appartement du second étage composé d’une salle à manger donnant sur la cour, de deux chambres sur la rue, d’une chambre donnant sur les deux cours et d’une chambre de domestique. 

Robert-Augustin Lecouturier était veuf sans enfant au moment de son mariage avec Elisabeth-Eléonore Deslandes qui était veuve d’un certain André Champoulot dont elle avait eu un enfant qui répondait au prénom étrange de Décius. Robert-Augustin qui vivait de ses rentes eut bientôt un fils, Augustin, qui épousera Émilie-Clara Loup dont le destin sera étonnant.

Les acheteurs s’installèrent rue de Seine dans un appartement du second étage où Robert-Augustin décéda le 15 octobre 1828.

L’inventaire24 de ses papiers nous apprend qu’un jugement a rectifié son nom, qu’il avait remboursé aux héritiers d’un certain Mr Grain une obligation de 18 000 francs qu’Adélaïde Madeleine Bourdelin avait souscrite lors de son mariage avec Xavier Aubéry, mari de Adélaïde Madeleine Bourdelin,qu’il avait payé la somme de 20 000 francs à un particulier, pour le paiement d’une obligation souscrite par Mr Crouillebois. 


Sa femme recueillit la succession et s’installa au 22 rue Mazarine.  Elle loua verbalement à Mr et Mme Champoulot, son fils et sa belle-fille, la totalité des deux immeubles, à l’exception bien entendu de son logement. Elle y décédera le 15 mai 1844.

Des papiers trouvés lors de l’inventaire  25 font état du monument funéraire qu’elle avait fait élever pour son mari ainsi que d’une « permission de police » de réparer et faire construire dans les maisons des rues de Seine et Mazarine. Mais sur ce dernier point on n’en sait guère plus … 

Ses héritiers furent les frères utérins Décius Chaupoulot et Augustin Lecouturier. Le  partage des biens de la succession de leur mère attribua à Augustin Lecouturier les maisons des rues de Seine et Mazarine. Les maisons étaient estimées à 120 000 francs lors du partage, le prix avait donc doublé en 25 ans.

Augustin Lecouturier26 était meunier à Saint Denis au moulin Choisel et associé à Anne-Émilie Saunier pour le commerce de grains et de farine et la fabrication de vermicelle.

Moulin de Choiseul (avec l’autorisation des Archives de la Seine-St Denis)

Par deux actes signés le même jour (9 février 1826), son associée fit  deux transactions bizarrement assorties : elle donna en mariage Emilie-Clara Parmier Loup, sa fille de 17 ans, au sieur Augustin Lecouturier  et lui vendit in petto sa part dans la société du moulin de Choisel à Saint-Denis27. Le couple s’installa à Royaumont, petite commune d’Asnières-sur-Oise où le mari décédera en 1849.  Émilie hérita l’usufruit des immeubles, mais la nue-propriété appartint à Décius Chaupoulot, son demi-beau-frère qui consentit en 1850 à lui vendre moyennant 30 000 F.

Quatre ans plus tard, en 1853, Émilie Clara Parmier Loup se remaria. Cette fois-ci l’élu était Édmé Vincent Grandjean-Delisle, avocat au conseil d’État. On quittait la farine pour les hautes sphères du droit. Ce dernier mourut le 1er juin 1859 en donnant par testament  la totalité de l’usufruit de ses biens à Émilie qui avait atteint la cinquantaine.

Émilie vivait dans l’ombre lorsqu’elle épousa le 27 février 1865 à la mairie du 9e arrondissement Jean Raymond Sigismond Alfred, comte de Salignac Fénelon, sénateur, grand officier de la Légion d’Honneur, ancien ministre de France à Francfort, âgé de 55 ans, veuf et père de famille28. On quittait le droit pour les hautes sphères de la diplomatie.

Acte de mariage Loup/Salignac-Fénelon

Les Archives Nationales mettent à la disposition du public les plans des maisons de Paris qui furent établis rue par rue entre 1822 et 1850. Le plan de la maison qui nous occupent y figurent et sont présentés à la page suivante. Comme on pourra le constater, ils présentent plusieurs défauts :

– Ils ne comportent pas de date, 

– Ils ont subi plusieurs rectifications de numérotation,

– Le propriétaire indiqué est M. Couturier – au lieu de Le Couturier.

.

            Aussi, pour établir de façon certaine qu’il s’agit bien des immeubles du 21 rue de Seine et du 22 rue Mazarine, ils ont été comparés à ceux d’un plan cadastral numéroté, établi par Jacoubet. On y retrouve bien le même plan. Comme un acte notarié indique qu’un jugement du tribunal de grande instance a fixé le nom du propriétaire comme étant celui de Lecouturier (et non Couturier), le doute est levé …

Sur les calepins des propriétés bâties de 1862, il est indiqué que l’immeuble de la rue de Seine a une entrée par porte d’allée et deux croisées de face. Un premier corps de bâtiment donne sur la rue, il est double en profondeur, élevé de quatre étages carrés et d’un cinquième lambrissé. Le deuxième corps de bâtiment se situe entre deux cours, il est de même élévation.

Quant au bâtiment sur la rue Mazarine, il a son entrée sur la rue par une porte cochère dans un corps de bâtiment élevé de trois étages et un quatrième lambrissé, il se poursuit en aile à droite par un bâtiment simple en profondeur. `Sur le calepin de 1876, il est inscrit qu’il y a eu des modifications en 1885 : le bâtiment entre deux cours a été détruit et remplacé par un bâtiment à gauche des deux cours, simple en profondeur et de six étages.

Sommier du 21 rue de Seine (Archives de Paris)

En 1862, le sommier foncier indique toujours la même propriétaire, mais elle fait place en 1870 au comte de Salignac Fénelon qui demeure quai d’Orsay. En 1876, un changement important intervient : le corps de bâtiment entre les deux cours est barré et remplacé par la mention “ bâtiment à gauche, simple en profondeur. Enfin en 1894 la maison est léguée à Victoire Elisa Blancard, épouse Destrez. Elle semble comporter six étages au lieu de cinq.

Depuis 1934, d’après le cadastre, la maison appartient à la société immobilière Seine-Mazarine à la suite d’une vente du 20 novembre1933. 

Sommier du 21 rue de Seine

À l’heure actuelle, la maison s’étend toujours de la rue de Seine à la rue Mazarine. Elle est entièrement ravalée. Le bâtiment sur rue comporte une allée sous le bâtiment qui aboutit à une première cour ornée d’une fontaine puis à une deuxième cour plus vaste donnant sur un bâtiment profond au bout duquel on aperçoit une magnifique porte cochère donnant sur la rue Mazarine. 

Monique ETIVANT


  1. A.N ; M.C. VIII/288, Bail de Gilles Le Maistre à Guillaume Fournier du 27/01/1542 

  2. habitable 

  3. A.N . ; LL1125 

  4. A.N., M.C., LI/4, Vente de A. de Montmiral à D. et A. Cattier du 1/04/1602 

  5. A.N. ; M.C. ; LI/4 vente de Montmiral aux frères Cattier du premier avril 1602 

  6. A.N. ; M.C. ; CXXII/378, devis d’ouvrages du 21 mai 1697 

  7. A.N.; M.C. ; CXXII/1558, remboursement par M. Hellot de la moitié du mur mitoyen du 30 octobre 1606 

  8. A.N., M.C., CXXII/388, bail du 18 mars 1610 

  9. A.N.,M.C., XLIX/259, contrat de mariage Cattier/Greban du 24 février 1606 

  10. Voir l’histoire du 47 rue de Seine 

  11. A.N., M.C., IX/82, contrat de mariage Cattier/Dallemaigne du 3 janvier 1611 

  12. rue Mazarine 

  13. A.N., M.C., CXXII/1580, partage du 17 juillet 1613 

  14. A.N. Z1j/261, 16/01/1643, partage des biens d’Aggée Cattier 

  15. A.N., M.C. : XVII/7, partage du 25/08/1655 

  16. A.N., M.C. : XXXIII/1664-1812, bail du 14/08/1660 

  17. A.N. ; M.C. ; VI/402, vente de la maison rue de Seine par Jean Boursin à Claude Bourdelin le 25/03/1664 

  18. Beaucoup de ces renseignements sont extraits de l’article de M. de Redinger paru dans les Informations pharmaceutiques, bulletin n°236, 09/1980 

  19. A.N. : Z1j/261, estimation du 16/01/1643 

  20. A.N. ; Y 3420, procès-verbal d’adjudication à Claude Bourdelin du 4/02/1690 

  21. C’est tout simplement un coussin 

  22. A.N. ; M.C. ; XLIV/119, contrat de mariage du 19 novembre 1692 

  23. AN,   O1 53 f°106 

  24.  AN, MC : ET/LXX/1027, 5 novembre 1828 

  25. AN, MC : ET/LXX/1213,  23 mai 1844 

  26. Il est appelé aussi bien Couturier que Lecouturier dans les actes notariés. 

  27. A.N., M.C. : Me Herbelin, contrat de mariage du 9/02/1826 

  28. A.N., M.C. : II/1137, contrat de mariage Salignac-Fénelon/Loup du 23/02/1865 

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Une réponse à Le 21 rue de Seine et le 22 rue Mazarine

  1. MIHY dit :

    Très bon article avec une recherche très sérieuse. Aucune raison pour ne pas mettre votre nom en tête.
    Merci, il m’a bien aidé.

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