Le 52 rue de Seine

Photo du 52 (c’est l’immeuble qui a 5 fenêtres de façade)

Le 52 rue de Seine est de construction relativement récente comme le prouve son alignement sur la rue . Il abrite actuellement un hôtel très fréquenté par les étrangers visitant Paris. Les divers propriétaires de ce lieu ont eu des histoires fort intéressantes que l’on va découvrir ensemble.

Chapitre I : Au XVIe siècle, la saga des familles Guérin/Moussy

Au début du XVIe siècle, le pâté de maisons encadré par les rues de Seine, de Buci (anciennement orthographié Bussy), Bourbon-le-Château, l’Échaudé et la rue Jacob (autrefois rue du Colombier) appartenait à Jean Guérin et abritait une grande tuilerie qui était certainement louée à un tuilier car le sieur Guérin était vendeur de « bêtail à pieds fourchus » au Marché de Paris. Jean Guérin eut une nombreuse famille dont une fille qui épousa un certain Claude de Moussy.

La rue Bourbon-le-Château (en bleu sur la carte) n’existait pas. Elle fut ouverte en 1610 par François de Bourbon, prince de Conti et abbé commandataire de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés lorsqu’il fit rebâtir la porte de son palais abbatial pour éviter un détour lorsqu’il se rendait en son Palais. 

L’extrémité de la rue Jacob vers la rue de Seine n’existait pas non plus (en vert sur la carte). Cette rue ne rejoignit la rue de Seine qu’en 1540, date à laquelle l’abbaye de Saint-Germain lotit le « triangle de l’Échaudé » qui servait auparavant de décharge à la tuilerie.

1ère génération : Claude de Moussy

Au début du XVIe siècle, la famille Guérin était propriétaire des lieux. On ne sait quand Jean Guérin le père acquit cette parcelle de terre mais on sait qu’il était vendeur de bétail à pieds fourchus au marché de Paris. Il devait donc sans doute louer la tuilerie. Ayant épousé Ambroisine Pasquier, il en eut de nombreux enfants dont une fille, Marie, épousa un certain Claude de Moussy.

De tradition familiale, les Moussy étaient tuiliers. Claude de Moussy exerçait la même profession. Vers 1534, lorsque son beau-père mourut, il sut alors saisir sa chance : il commença à racheter à ses beaux-frères et belles-sœurs leur part dans la tuilerie. Ce fut une entreprise de longue haleine puisque cela dura 70 ans ! Le premier à vendre fut Pierre Guérin qui n’avait que 16 ans, était religieux non profes au couvent des Augustins. Le 26 août 1534, l’accord fut signé avec les moines moyennant 11 livres 10 sols de rente et la fourniture  des habits pour la future profession du fils Guérin1

[Les religieux du couvent des Augustins …. par ces] présentes baillent [•••] à Claude de Moussy le jeune marchant / bourgeoys de Paris […]/tout tel droict de succession , noms, raisons et actions /que audict couvent [des Augustins] compète et appartient / et qui pourra cy après compéter et appartenir à cause de frère /Pierre Guérin, religieulx non profes audict couvent / et qui de bref espère faire profession en ielluy, ledict /Pierre Guerin en ce présent aagé de 16 ans  ou environ /[…] qui luy peult /compecter et appartenir tant par le décès et trespas /de feu Jehan Guérin son père que de ses frères descédez

Une vingtaine d’années plus tard, la Tuilerie n’était plus si une si bonne affaire puisque l’Université en demanda la fermeture considérant qu’elle causait beaucoup de nuisances à leurs « escoliers » dont le Pré aux Clercs était tout proche.  Très vite les habitants de Saint-Germain-des-Prés rejoignirent la contestation. La Cour fut saisie et ordonna de faire une enquête sur les pertes encourues par le sieur Moussy à cause de la fermeture de sa tuilerie. En dernier recours, elle défendit d’achever le nouveau four qui était en construction et l’enjoignit de déposer les immondices causés par la tuilerie dans des lieux qui seraient désignés par le cardinal de Tournon, alors abbé de Saint-Germain-des-Prés2.

À partir de cette époque, il n’y eut plus de tuilerie rue de Seine et  il fallut pour la famille s’adapter à cette situation. Claude de Moussy choisit de construire des maisons sur la place laissée vide. La plupart étaient modestes, étroites avec un seul étage, le rez-de-chaussée étant aménagé en boutique.

Cependant l’une d’elles était beaucoup plus grande et plus belle. Elle prit pour enseigne La Bergerie et occupait l’emplacement des 50 et 52 rue de Seine. Elle contenait plusieurs corps de logis dont l’un faisait l’encoignure des rues de Seine et Jacob. Les bâtiments n’avaient qu’un étage surmonté d’un grenier et s’ouvraient sur une allée qui conduisait à une vaste cour et par derrière un grand et beau jardin. 

Plan de Boisseau. La Bergerie est figurée derrière la main jaune .

2ème génération : Jean de Moussy puis sa veuve de 1546 à 1607

Claude de Moucy mourut le 8 octobre 1546 et sa femme rendit l’âme 14 ans plus tard. Ils avaient eu une fille Nicole et un fils Jean . Ce fut ce dernier qui devint propriétaire du 52 et des maisons voisines.

Jean de Moucy avait été étudiant à l’Université, il devint un très riche conseiller au Parlement qui épousa Catherine Le Conte, fille de Charles Le Conte, seigneur de La Martinière . L’élévation de la famille Moucy commença à cette époque …

Il décéda le 27 juillet 1596 à Chinon lors d’une mission pour le roi. Sa veuve, soucieuse de donner à sa progéniture des positions élevées dans l’échelle sociale, se mit à gérer les biens de la communauté comme tutrice de ses enfants.

Déclaration de cens à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés (A.N.; S 3058)

Une fois ses aînés sortis de l’Université, elle leur fit peu à peu dons de maisons et de rentes afin de les pourvoir de charges importantes dans la Finance. Ainsi en 1600, Jean II de Moucy, le fils aîné, époux d’Isabelle de Beauvais, reçut en faveur de son mariage l’office d’auditeur en la Chambre des Comptes et une maison rue de Buci .

Quelques années plus tard,  le puîné Claude réclama sa part. Sa mère lui donna le nécessaire pour acheter un office d’auditeur en la Chambre des Comptes et une maison rue de Seine  3.

Plusieurs des filles entrèrent au couvent comme c’était souvent le cas en ce temps-là. C’est ainsi que le 2 juin 16014 les religieuses du couvent royal de la Saussaye se trouvèrent réunies autour de leur prieure Mère Marie Le Picard ainsi que Catherine Le Conte, la mère, Catherine de Moussy l’impétrante, Jean II de Moussy , son frère, et de nombreux cousins germains cousins germains. Ils déclarèrent qu’après avoir longuement réfléchi, ils ont accordé que l’impétrante rentre en ce couvent. Pour cela Catherine Le Conte dut constituer aux dames religieuses, prieure et couvent 16 écus 2 livres de rente et pension viagère. Elle leur bailla de plus 333 écus 1/3. Moyennant quoi , les religieuses du couvent renoncèrent à toute succession directe ou collatérale.

Les autres enfants, trop jeunes, attendirent l’année 1607 5 où on procéda au partage des biens de Jean I, leur père. Il eut lieu entre Jean et Claude, auditeurs en la Chambre des Comptes, Pierre, suivant les Finances du roi, Alain, avocat en la cour du Parlement et Jacques encore mineur et représenté par son frère Claude qui était son tuteur. Antoine avait malheureusement été tué au siège de La Rochelle. D’autres entrèrent en religion et moururent très jeunes, il s’agissait de Charles, et Catherine qui en 1607 avaient disparu.

Ses enfants grandissaient et avaient des ambitions. Elle avait bien répondu aux demandes des aînés en subventionnant les achats des charges au Parlement. Mais en 1607, ils lui demandèrent de partager les biens de la succession de leur père6. Les biens immobiliers furent expertisés  et la maison des rues de Seine, du Colombier et de l’Échaudé furent estimées 20 500L.

La maison de la Bergerie contenait plusieurs corps d’hôtel sur la rue de Seine plus un autre beaucoup plus grand à l’encoignure des rues de Seine et du Colombier (rue Jacob maintenant)  qui avait trois travées de long. La cour qui se trouvait derrière était en partie couverte. Un grand jardin conduisait aux maisons de la rue de l’Échaudé où était construit un jeu de boules couvert. On ne fit que 3 lots, les aînés ayant déjà été pourvus. 

3ème génération : Pierre de Moussy

Le premier lot qui contenait la maison de la Bergerie échut à Pierre de Moussy conseiller du roi en ses conseils, trésorier de France en Champagne et président au bureau de finances en Champagne. Il avait épousé Louise du Metz (alias du Maitz, du Mets), fille d’un avocat au parlement. Elle lui donna dix enfants !

Il mourut le 24 janvier 1645 et fut inhumé comme beaucoup de ses ancêtres en sa paroisse Saint-Jean-en-Grève.

Plan de Boisseau. LaBergerie est figurée derrière la main jaune

4ème génération : Anne de Moucy/Moussy

L’un des dix enfants était Anne de Moussy, l’une des plus jeunes.  C’est elle qui devint propriétaire de La Bergerie et de la moitié du jeu de boules couvert qui faisait le coin des rues du Colombier (Jacob) et de l’Échaudé, l’autre moitié appartenant à sa mère.

Elle épousa en 1651 Robert Le Roy, seigneur de la Poterie et intendant en Provence qui ainsi devint propriétaire des maisons. 

En 1675 nous trouvons Anne de Moussy , épouse de Robert Le Roy , seigneur de La Poterie et intendant en Provence comme propriétaire  de la Bergerie et propriétaire en indivis avec Marguerite Pajot, sa belle-sœur, veuve de Jean de Moussy, trésorier de France en Champagne du jeu de boules de la rue de l’Échaudé7. Dans le cueilleret de 1687 , on peut lire que Anne de Moussy était redevable envers l’abbaye de St germain-des-Prés d’un cens montant à 3 Sols ce qui était une redevance conséquente :

Extrait du cueilleret de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés de 1687-Page 217 R°
La page 217 V°

5ème génération : Pierre Le Roy  de la Poterie

Pierre Le Roy de La Poterie succéda à sa mère comme propriétaire. Il était lui aussi seigneur de La Poterie, Mancy et autres lieux. Il avait épousé le 9 juin 1692 demoiselle Madeleine Françoise de Boylesve, fille de messire Louis de Boylesve, chevalier, seigneur de la Gillière et lieutenant général en la Sénéchaussée d’Anjou et au présidial d’Angers. 

Ils eurent plusieurs enfants dont Urbain et Perrine. Pierre Le Roy de la Poterie mourut en 1727. Un partage eut lieu d’abord sous seing privé le 27 septembre de la même année qui fut déposé le jour suivant chez Me Sainfray, notaire à Paris 8.  

6ème génération : Urbain le Roy de la Poterie

L’ancienne Bergerie fut attribuée à Urbain Leroy de La Poterie . Les trois petites maisons de la rue de Seine allèrent  à sa sœur Eléonore Le Roy, épouse de Charles de Boylesve, seigneur de Soucelles. 

Urbain Le Roy avait des ambitions de noblesse. En 1747, il acquit le château de Challain des héritiers d’un certain Christophe Fouquet pour la belle somme de 76 200 livres. Il obtint du roi Louis XV en septembre 1748 l’érection de la terre seigneuriale et haute justice de Chalain en titre et dignité de comté qui portera désormais le nom de « comté de la Poterie » .  Urbain eut ainsi le plaisir de pouvoir se faire appeler comte de La Poterie.

Eléonore Le Roy et son époux Charles de Boylesve, seigneur de Soucelle, vendirent le 17 août 1731 par acte passé devant Me Bois et son confrère au sieur Symphorien Girard, Me sellier et sa femme les trois petites maisons dont ces derniers étaient en partie locataires, les deux autres étant louées l’une à un arquebusier et l’autre à un cordonnier . Pour ce faire, ils envoyèrent le sieur Grimaudet, un de leurs parents, pour conclure la vente qui fut faite moyennant 15 700 livres dont les acheteurs avaient emprunté 12 000 livres la veille. Urbain Le Roy exerça son droit de retrait de lignage le 3 mai 17329

Quelques mois plus tard,  le 30 mai 1732  10 l’emplacement qui contenait autrefois le jeu de boules fut partagé entre Eléonore de Moucy, fille de Marguerite Payot et de Jean de Moucy et épouse de Jacques Giraud de Moucy, écuyer, chevalier de l’ordre militaire de Saint-Louis et écuyer de madame la duchesse d’Orléans et Perrine Le Roy, fille de Pierre Le Roy et épouse de Charles de Boylesve. 

Le 23 juin 1738, Charles de Boylesve, seigneur de Soucelle et dame Perrine Le Roy  de la Poterie vendirent à la veuve Thibault l’emplacement qui servait de jeu de boules avec les bâtiments, hangars pour 13 1000 livres. Urbain Le Roy de la Poterie fit preuve d’une grande opiniâtreté en cette circonstance puisqu’il exerça à nouveau son droit de retrait lignager en faisant assigner au Parc Civil du Châtelet le 26 juin 1739 auprès de la fille de la veuve Thibault et pour ce faire il envoya comme procureur … Symphorien Girard contre lequel il avait exercé le même droit quelques années auparavant ! Et l’histoire ne se termina pas là ! Urbain de la Poterie avait des dettes envers la succession du sieur Girard qui s’élevaient à 30 800 livres auprès duquel il avait constitué une rente de 1500 livres lors du retrait de lignage. Il s’avisa de vendre toutes les maisons qu’il possédait dans le pâté formé par les rues de Seine, Buci, Bourbon-le-Château, l’Échaudé et Colombier (alias Jacob) . Cela se passa le 17 avril 1752 devant Me Guillaume Angot11 à qui il envoya son procureur du nom de Louis Fontaine qui était conseiller du roi et contrôleur des rentes de l’Hôtel de Ville de Paris, ce qui représentait, vous en conviendrez, un gage d’honnêteté. Les acquéreurs étaient Lucien Jacques Maupetit et sa femme Marie Angélique Aubry ainsi que Blaise Henry et Marie Anne Sirois son épouse. Le premier était maître fourbisseur et le second ingénieur du roi.

Plan joint au partage. Attention, la rue de l’Échaudé est en bas.

Ils achetèrent chacun pour moitié « les maisons, terrain, emplacement et hangars situés rue de Seine, du Colombier et de l’Échaudé » appartenant au comte de La Poterie. Cela comprenait la « grande maison nommée La Bergerie faisant l’encoignure des rue de Seine et du Colombier composée de deux corps de logis attenant l’un l’autre », plus les trois petites maisons joignantes l’une l’autre située rue de Seine et tenantes à la maison de la Bergerie, plus un emplacement qui servait autrefois de jeux de boule avec le bâtiment, maison, hangars et portion d’hangar situé sur ledit emplacement ». Le sieur Fontaine avait remis aux acquéreurs le plan ci-dessous que nous avons pu retrouver. 

Mais voici que deux personnes se présentèrent au Châtelet de Paris pour exercer leur droit de retrait lignager. Il s’agissait de Eléonore Giraud de Moucy et Louis Le Boullanger.

7ème génération : Éléonore Giraud de Moucy et Louis Le Boulanger son époux

Pour comprendre ce rebondissement, il faut remonter à Jean I de Moucy qui avait pour épouse Catherine Le Conte et qui était décédé en 1596. Il avait eu de nombreux enfants dont Pierre de Moucy, époux de Louise Du Maitz. De ce mariage naquirent entre autres enfants : Anne, l’épouse de Robert Le Roy de La Poterie et un fils du nom de Jean de Moucy qui avait épousé Marguerite Payot. 

Marguerite devint veuve très jeune et à l’imitation de sa belle-mère Louise de Maitz, géra les biens du défunt tout en pourvoyant aux besoins de ses enfants pour l’achat de charge. 

Parmi eux, il y eut Eléonore qui épousa Jacques Giraud en 1700, chevalier des ordres militaires et hospitaliers du Mont Carmel et de Saint-Louis de Jérusalem et conseiller de la duchesse d’Orléans. Ils Ils eurent une fille du nom d’Éléonore Giraud de Moucy qui épousa le 31 mai 1732 Louis Le Boulanger, descendant du très célèbre Jean de Montigny qui fut Premier Président du Parlement en 1471  12. Celui-ci était d’une famille fort connue au Parlement, il était lui-même maître des Requêtes en cette cour et seigneur d’Hacqueville. Il avait déjà convolé deux fois lorsqu’il épousa Éléonore. Il avait 79 ans et elle 29 ! 

Mais revenons à La Bergerie. Il exerça son droit de retrait lignager contre le fourbisseur, l’ingénieur du roi et leurs épouses qui avaient acquit La Bergerie d’Urbain Le Roy de la Poterie. Il en devint ainsi son heureux détenteur alors qu’il était déjà propriétaire de plusieurs maisons du pâté Seine-Buci-Bourbon-le-Château- l’Échaudé-Colombier (alias Jacob) à cause des propres de sa femme qui était une descendante Moussy. 

Malgré son grand âge, le couple eut deux enfants, le premier se nommait Jacques-Louis et le second Isidore-Louis. Celui-ci épousa en 1754 Catherine Elisabeth de Pommereu. De ce mariage naquit un fils du nom d’Armand-Louis  qui fut orphelin de père très tôt puisqu’Isidore mourut à 26 ans. Cependant Louis Le Boulanger mourut  en 1741, sa veuve continua à gérer les biens de façon d’ailleurs assez bizarre. Voyez plutôt :

Le 26 octobre 1781, l’agitation régnait dans la rue de Seine, les gens étaient à leurs fenêtre ou dans la rue et caquetaient fort. Au coin de la rue du Colombier, ils aperçurent un sergent à verge juché sur son cheval accompagné d’un architecte à pied et d’un homme vociférant. Ce dernier était M. Adéma, chirurgien de monseigneur le comte d’Artois et locataire de la grande maison de la Bergerie.  Il avait porté plainte contre sa propriétaire , Madame Le Boulanger, parce qu’elle avait eu l’idée saugrenue de faire démolir la maison sous prétexte de péril imminent. Sur la plainte de M. Adéma, le procureur du roi avait envoyé un architecte expert pour visiter la maison accompagné d’un sergent à verge. C’était plus prudent. L’expert constata que le pauvre Adéma n’avait plus de toit, plus de fenêtre, plus de cheminée, bref sa cuisine , sa salle à manger,  sa  chambre étaient inhabitables. Mais il n’y avait aucun péril imminent ! Bien entendu, la cour ordonna la remise en état de l’immeuble. Il en coûta à madame Le Boullanger au moins 218 livres sans compter l’amende qui lui fut infligée et dont on ne connaît point le montant.

Au décès de la dame Le Boulanger en 1782, il se présenta deux héritiers. L’un était Jacques Louis Le Boulanger, conseiller du roi en ses Conseils,  président en sa Chambre des Comptes et conseiller honoraire en sa cour de Parlement et frère d’Isidore. L’autre était Armand Louis Le Boulanger, fils d’Isidore. Ce dernier acheta par licitation13

Les mises à prix furent les suivantes : 

  • 30 000 livres pour la maison rue de Buci (en rose sur le plan)
  • 12 000 livres pour la maison rue de Seine occupée par le sieur Fleury Me (en jaune sur le plan)
  • 3000 livres pour la petite maison rue de Seine à la suite de celle ci-dessus qui est peint en vert sur le plan 
  • 3000 livres pour la petite maison à la suite de la précédente (en bleu clair sur le plan)
  • 3000 livres pour la petite maison à la suite de la précédente (vert pré sur le plan) 
  • 2000 livres pour la petite maison ensuite de la précédente (rouge pâle sur le plan) 
  • 2000 livres pour la petite maison ensuite de la précédente (en brun sur le plan) 
  • 2000 livres pour la maison ensuite de la précédente (en violet clair sur le plan)
  • 34 000 livres pour la maison ensuite anciennement de la Bergerie aboutissant aux maisons teintes en brun et violet clair (article en vert clair) 
  • 5000 livres pour la maison sise rue de l’Échaudé attenant d’un côté à la précédente et qui sur ledit plan est teinte en brun 4000 livres pour l’autre maison sur la rue de l’Échaudé attenant celle ci dessus désignée en bleu y compris la mitoyenneté du puits 
Plan des lots de l’adjudication, les parties en gris sont celles qui n’appartiennent plus aux Moussy depuis longtemps.

Les adjudicataires furent :

  • Pierre Michel, comte de Brosse pour les 4e, 5e et une partie de la 6e cases,
  • Les 1e , 2e , 3e et 9e cases furent adjugées à M. Lanchère de Vaux, 
  • L’autre partie de la 6e case et les 7e et 8e cases sont allées vers Jacques Gautier qui était Me serrurier.

En vert : de Brosse – en jaune : Lanchère de Vaux – en orange : Gaultier- en gris les parcelles qui n’étaient pas à vendre

Chapitre II : La ronde des nouveaux propriétaires

1785-1805 : Pierre Michel de Brosse

Pendant cette période révolutionnaire un salon littéraire hantait les lieux alors que l’immeuble abritait l’hôtel de Seine comme l’indique le Journal des Débats du 30 avril 1804 :

Annonce du Journal des Débats

Mais voici que lorsque Pierre Michel de Brosse revint de son exil forcé, les époux décidèrent de vendre.  Les lieux vendus sont ainsi décrit dans l’acte de vente du 3 messidor an XIII (22 juin 1805)14. Ils comprenaient trois corps de bâtiments s’imbriquant les uns aux autres ayant cour pavée avec les terrains y attenant et indépendant. Le premier avait face sur la rue de Seine sur 15m41 contenant 354 ca divisé en deux bâtisses : l’une élevé d’un étage  et l’autre de deux étages plus un hangar et une remise couverte en tuiles , le tout avec les 5 boutiques en dépendant.  

Le second corps de bâtiment formait un angle sur les rues de Seine et Colombier (10 m de face sur la rue de Seine et 21 m 43 cm sur celle du Colombier) . Il était élevé de 2 étages et comportait deux boutiques, le tout ayant 194 ca de superficie.

Le troisième formait un angle sur les rues du Colombier et de l’Échaudé (5 m 20 de face sur la rue du Colombier et 21 m 43 sur la rue de l’Échaudé). Il était divisé en plusieurs petits bâtiments d’un étage et 2 boutiques, le tout de 192 ca de superficie. 

Lorsque la numérotation des immeubles de Paris fut mise en place à partie de 1805, les lieux portèrent le n° 46. 

1805-1839 : les Duhait

Les acheteurs (pour la somme de 50 000 F) étaient René Duhait, marchand de bois et menuisier de son état et Suzanne Divoire son épouse. Toute la famille Duhait s’installa dans l’immeuble où ils occupaient une partie du rez-de-chaussée et du 1erétage. Tout le reste était loué à divers particuliers et commerçants au nombre de 13. 

Un quatrième enfant vint bientôt agrandir la famille. Hélas , René Duhait mourut en septembre 1811 en laissant 4 enfants mineurs. L’inventaire qui fut fait après son décès  15 montrait que Madame Duhait n’exerçait point de métier. Cependant l’Almanach des 20 000 adresses de 1820 mentionne qu’au 46 rue de Seine madame Veuve Duhait tenait l’Hôtel de Seine

Dix neuf ans plus tard, sa veuve et les deux enfants qui lui restaient vendirent la maison16. L’administration de Paris avait décidé l’alignement dans les rues de Seine et Jacob qui enlevait 291 m2 de terrain sur les 761 m2 que la propriété comportait. Il s’agissait d’une diminution de plus d’un tiers de terrain. On comprend les raisons de la vente d’autant que la plupart des bâtiments devaient donc être détruits ! 

Voici le plan du nouvel alignement :

Plan du nouvel alignement

1839-1840 : Auguste Leloir.

M. Leloir était entrepreneur en bâtiments et architecte. Son acquisition comportait la maison du 46 rue de Seine, celle du 1 rue Jacob et celle du n° 9 rue de l’Échaudé pour la somme totale de 100 000 F dont 90 000 F s’appliquait au terrain vendu, 5000 F aux constructions existantes sur le terrain et 5000 F aux constructions destinées à l’alignement sur la voie publique.  Pour financer son acquisition ainsi que le coût des constructions qu’il avait à faire, il emprunta17 au comte de Jonville la coquette somme de 100 000 F. De plus il fut convenu dans le contrat de vente un délai important pour payer son acquisition aux consorts Dehait. Il versa 10 000 F, il s’engagea à régler 30 000 F dès la levée des hypothèques et enfin le solde de 60 000 F devait être réglé en 1842.

Il acquit aussi des héritiers de M. Lanchère de Laglandière un petit terrain donnant sur la rue de l’Échaudé et faisait hache sur son propre terrain  18

Plan du terrain de M. Leloir

Il commença tout de suite les constructions de l’immeuble de la rue de Seine qui comportait un rez-de-chaussée sur caves avec une entrée par porte cochère, un entresol, 4 étages carrés y compris un étage en attique et un étage sous comble lambrissé sur le devant et carré sur la cour plus un corps de bâtiment en aile élevé au dessus des caves d’un rez-de-chaussée sur caves, un entresol et 5 étages carrés à l’exception de l’extrémité de ce corps de bâtiment qui comprenait seulement une portion de cabinets de toilette de chaque appartement et qui n’était élevé que de 3 étages au dessus de l’entresol avec terrasse. 

Derrière le principal corps de bâtiment, il y avait une cour dans laquelle se trouvait une pompe dont le tuyau conduisait dans un puits qui dépendait de la maison d’à côté sise 1 rue Jacob appartenant également à M. Leloir. Il avait obtenu de l’administration l’autorisation de jouir de l’espace de terrain en pan coupé qui se trouvait dans l’angle formé par la maison n° 48 (maintenant 54) tant que cette maison n’avait pas encore été reculée dans l’alignement de la voie publique.  M. Leloir en jouissait par tolérance de l’administration. 

Le nouveau propriétaire fit ériger aussi l’immeuble du 1 rue Jacob qu’il vint habiter avec sa famille. 

Cependant il avait cruellement besoin de financement, il avait demandé des délais pour régler ce qu’il devait aux consorts Dehait. Il décida donc de vendre l’immeuble du 46 rue de Seine qu’il avait loué à M. Lequet pour 9 ans qui y tenait « l’Hôtel de Seine ».

1840-1885 : les sœurs Rambac 

Les acquéreurs furent trois sœurs Virginie, Flore et Rosette Rambac19 toutes les trois célibataires au moment de l’acquisition , rentières et qui venaient de perdre leur père architecte. Cependant, l’aînée épousa un certain Legrand en 1848 dont elle n’eut point d’enfant. 

Plan du 52 (ancien 46)

Elles versèrent à M. Leloir la somme de 120 000 F  et s’engagèrent à entretenir le bail fait à M. Lequet. La terrasse qui se trouvait au bout du bâtiment en aile ne devait en aucun cas servir de promenade, elle était réservée uniquement à l’usage des fumistes et des couvreurs pour l’entretien de la toiture…

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Flore et Rosette moururent en 1869 à Versailles où les trois sœurs s’étaient installées. Elles avaient légué à leur sœur Virginie leur part dans l’immeuble de la rue de Seine qui portait maintenant le n° 52 au lieu du 46 à cause d’un changement de numérotation des rues de Paris dans les années 1860.

Un jour de juin 1871, l’hôtel fut cité dans de nombreux journaux. Un homme disant s’appeler Blumen et venir de Moravie descendit à l’hôtel de Seine et annonçait au personnel de l’hôtel que ses bagages allaient arriver quelques jours plus tard. On le pria alors selon l’usage de payer d’avance. Dans la soirée une dame fort élégante vint lui rendre visite et déposa au bureau de l’hôtel 50 fr. Le voyageur ne sortait tous les jours que quelques instants et on lui servait à manger dans sa chambre. Mais le voyageur fut arrêté par les agents de la sureté pour vol et escroquerie. La femme élégante qui fournissait des subsides au sieur Blumel était une demi-mondaine. Il se murmura alors dans Paris qu’il y avait quelques rapports entre cette affaire et le chantage dont fut victime quelques temps auparavant un officier général de la marine. L’homme arrêté s’appelait Grois et venait de Rouen. L’hôtel fut le théâtre d’un autre fait divers en 1881. M. Constantin Ventura, arrivant de Nice, descendit dans l’hôtel de Seine. Il avait de la fortune et se mit à fréquenter le monde du théâtre. Il y fit la connaissance d’une personne dont il tomba raide amoureux. Mais cette dame était gourmande, elle réclamait de plus en plus d’argent et l’entrainait à faire des dépenses qu’il ne pouvait plus faire. Il rompit et dans le désespoir se tira une balle de fusil dans la main. Il perdit dans ce coup de feu un doigt … qu’il mit dans un verre d’eau de vie ! Quelques jours plus tard, ayant annoncé à son entourage qu’il se suiciderait, il se tira une balle dans la tête, tout en tirant le cordon d’appel  du personnel, mais cette fois-ci, il ne se rata pas … Ce M. Ventura était un cousin du prince Milan de Serbie

1885->1916 : les sœurs Herbet

La remise de legs eut lieu en grande pompe chez Me Richer, notaire à Versailles ((A.D. des Yvelines, 3E 47/439, remise de legs des 26/10 et 2/11/1885!!. Il réunit les légataires c’est-à-dire

  • Marie Herbet, épouse de Raoul Boussi, docteur en médecine demeurant à Paris, 
  • Marguerite Herbet, sans profession et demeurant chez ses parents, 
  • Jenny Herbet, veuve de M. Delperier demeurant à Bergerac.

Mme Delperier habitant Bergerac ne se déplaça point, elle envoya son fils pour la représenter.

Marie et Marguerite eurent ¼ de l’immeuble tandis que la veuve Delpérier en eut la moitié.  On leur remit les titres de propriété de l’immeuble ainsi que le bail de l’immeuble et son  renouvellement qui avait été fait à M. Dujardin qui tenait l’Hôtel de Seine. Madame Delperier mourut en 1916 en laissant 10 enfants. Les copropriétaires étaient devenus si nombreux que leurs parts se quantifiaient en 42e !

Nous perdons à partir de cette date de 1916  la trace des propriétaires du 52 rue de Seine tout simplement parce que la consultation des minutes de notaires n’est autorisée que jusqu’en 1900. Il nous faut donc laisser là l’histoire de cet immeuble, quitter les Moucy et leurs veuves si raisonnables devant l’adversité, la dame Le Boullanger, riche mais si peu circonspecte, M. Adéma affolé par la destruction de son habitation,  la dame de Bizemont mariée à 15 ans regardant la Révolution avec courage, l’architecte Lenoir, constructeur prenant de gros risques financiers,  les demoiselles Rambac, figures d’un autre temps.

Nous allons partir avec joie et curiosité à la découverte de l’histoire d’un autre immeuble…



  1. A.N.(Archives Nationales) ; S/3007/2 

  2. A.N., ; S/6186, 6 juin 1554 

  3. A.N. ; M.C. ; XII/32 , transaction entre Catherine Le Conte et son fils Claude du 18/02/1606 

  4. Ces renseignements d’état civil proviennent en partie des recherches de J.L. Le Marois consultables sur le site Familles Parisiennes http://www.famillesparisiennes.org 

  5. A.N. ; M.C. ; CXII/254, partage des biens de Jean I de Moucy du 26/02/1607 

  6. A.N. ; M.C. ; CXII/204 , partage des biens de Jean de Moucy du 26 février 1607 

  7. A.N. ; S//3061, Cueilleret de 1687 de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés 

  8. Nous avons joué de malchance puisque ce partage est lui aussi inaccessible aux lecteurs du CARAN en raison de son état. 

  9. A.N. ; S 2837 Terrier de St-Germain-des-Prés, et ainsi devint propriétaire de ces trois petites maisons 

  10. A.N. ; M. C. ;  CVIII/408, partage du terrain de l’ancien jeu de boules de la rue de l’Échaudé  

  11. A.N. ; M.C. ; XLII/433, acte de vente du 17/12/1752 

  12. Le surnom de Le Boullanger fut donné à Jean de Montigny parce qu’il fit rentrer dans Paris à ses frais une énorme quantité de blé lors d’une 

  13. A.N. ; M.C. ; qui eut lieu devant Me Edon le 31 décembre 1784 la part que son oncle possédait dans le pâté de maison de la rue de Seine et se trouva ainsi propriétaire du tout. 

    8è génération : Armand-Louis Le Boulanger, petit-fils d’Éléonore Giraud de Moucy

    L’orphelin n’avait que 2 ans à la mort de son grand-père en 1741, il en devint l’héritier par représentation de son père Isidore, mais sa grand-mère Eléonore Giraud de Moucy conserva l’usufruit de tous les biens laissés par son mari dont celui du château d’Hacqueville et bien entendu ses biens de la rue de Seine qui lui appartenaient de son propre. Elle mourut en octobre 1782, soit plus de 40 ans après son mari, et Armand-Louis devint enfin propriétaire.

     La famille Le Boulanger était de tradition immémoriale une famille de robe. Armand Louis fut le premier à choisir le métier des armes : il était officier aux gardes françaises. Sa jeunesse fut marquée par un drame : sa jeune fiancée dont il était très amoureux mourut avant leur mariage. Il fut tant frappé par cette tragédie qu’il attendit 1819 et son retour d’exil pour contracter mariage.

    Miniature d’Armand Louis Le Boulanger

    En effet en 1790, au moment où la Révolution guillotinait à tour de bras de nombreux nobles, il émigra en Angleterre dont il ne revint qu’à la seconde Restauration.

    Armand-Louis avait eu sans doute le sentiment que la France allait subir de graves bouleversements puisque, brutalement, il vendit aux enchères tous ses biens immobiliers situés à Paris. Ainsi se termina la saga des Moucy le 27 janvier 1785  ((A.N. : Y 2942. Procès-verbal d’adjudication du 25 juin 1785 

  14. A.N. ; M.C. ; V/1117, vente de M. De Brosse à M. Duhait du 22/06/1805 

  15. A.N. ; M.C. ; II/831,  inventaire des biens de M. Duhait commencé le 24/01/1812 

  16. A.N. : M.C. ; V/1117, contrat de vente des consorts Duhait à Pierre Auguste Leloir du 5/05/1838 

  17. A.N. ; M.C. ;  V/1123, Obligation de M. Leloir du 29/06/1839 

  18. A.N. ; M.C. ; V/1122, vente de M. Lanchère de La Glandière à M. Duhait du 7 mars 1839 

  19. A..N. ; M.C. ; ET/V/1130, vente de M. Leloir aux sœurs Rambac du 7/10/1840 

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